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Xochitl Borel réaliste poétique "latino"

Publié le 16 mai 2017 par Jlk
Unknown-1.jpeg  Après un premier roman déjà très remarqué, gratifié de deux prix littéraires, Xochitl Borel brasse plus large et profond, entre détresse et tendresse, dans le magma d'une réalité pesante que son regard et son verbe allègent sans l'édulcorer. De L'alphabet des anges à son deuxième ouvrage qui vient de paraître, Les Oies de l'île Rousseau, une vraie romancière impose son univers poétique avec autant de porosité sensible que de vigueur réaliste. Ils ne sont pas légion, les jeunes auteurs contemporains de nos contrées qui ressaisissent, avec la même intensité émotive et la même force d'expression, ce qu'on peut dire le poids du monde et le chant du monde.Or Xochitl Borel est de ceux-là, qui pense en romancière et ressent en poète, avec une empathie sans doute nourrie par les multiples observations, émotions ou révoltes accumulées au fil de ses voyages autour du monde, et des qualités proprement littéraires modulant un regard pénétrant sur la société, la nature et les gens.De fait, elle a le sens des réalités sociales et du récit, une aptitude remarquable à individualiser ses personnages dont chacun dégage une aura particulière, le sens du symbole et le sens du dialogue autant que de la formule poétique ou critique.Attention : chute d'anges, pouvait-on signaler dès la première page de son premier roman, introduisant un motif tragique récurrent du deuxième roman dont quatre personnages tombent, au sens propre, sous le coup du désespoir. Mais une singulière indication de la première page du premier roman marquait aussi la beauté de l'homme gisant à terre, et l'on verra comment, dans ces deux romans ou l'on souffre et l'on tombe, la vie et les gestes humains pallient toute morbidité.Avec Les oies de l'île Rousseau, le lecteur « tombe » à son tour dans un imbroglio de destinées entremêlées, avec l'impression de prendre un train en marche depuis des années.C'est en effet trois décennies plus tôt que le protagoniste, au prénom d'Eliott et qui débarque dans un office de la police judiciaire genevoise pour un poste à l'essai, a été confié par sa mère a une certaine Fiora, membre d'un certain parti international d’extrême-gauche, qui l'accueille avec un autre petit garçon prénommé Julien. On ne saura pas la cause exacte de la mort volontaire de Natacha, mais cette première chute d'ange fait figure de noire scène primitive dans le drame personnel d'Eliott, exacerbant son écoute sensible des autres.Un tragédie plus dévastatrice est cependant investie par le roman, dans un entre-monde où ont été rejetés deux damnés de la terre : les migrants afghans Farid et Mehran ; et le même univers se ramifie en cette pension Ida proche de la place du Cirque, à Genève, où se rencontrent Eliott et l’immigrée malgache Tsyori, dont les relations évoqueront la possibilité d’un amour en dépit de toutes les difficultés.Sur l’arrière-fond d’un monde dont les structures – à commencer par le fameux lien social – ont plus ou moins volé en éclats, Xochitl Borel renoue des relations affectives, d’amitié et d’amour au sens large, entre une dizaine de personnages que rapproche leur sensibilité fragile et leur besoin d’amour ou d’affection.Il y a donc Eliott le flic bientôt mis à l’écart par sa hiérarchie, et Tsyori travaillant au noir dans un hôtel, dont l’intelligence du cœur s’apparente à celle de Fiora, la mère adoptive d’Eliott, autant qu’à l’écoute d’Eva la psy, auprès de laquelle Eliot trouve une espèce de grande sœur, comme il ira se réfugier vers son « frère » Julien et sa compagne Anna - tel étant en somme le premier cercle, central, du roman.Au pourtour de celui-ci, dans les ténèbres extérieures de l’exclusion, gravitent les vies meurtries de Mehran et Farid, également sensibles à la beauté des roses et de la poésie, et celle de Majda Mahfouz la lettrée frappée en sa chair par la perte d’un enfant.Est-ce alors un « roman social » à teinture misérabiliste que Les Oies de l’île Rousseau. Nullement. Est-ce un nouvel avatar du « polar romand » au motif que des flics y enquêtent ou en bousculent les personnages ? Pas non plus. Est-ce un témoignage romancé à verser au dossier des questions sociales « brûlantes » avec épisode relevant de l’enseignement spécialisé ? Non, ce roman d’immersion, achoppant à la condition humaine plus qu’à tel ou tel aspect socio-politique, relève plutôt, me semble-t-il, de ce que l’on a appelé le réalisme poétique, notamment dans la littérature latino-américaine, et plus précisément chez un Juan Carlos Onetti, sans qu’aucune référence directe ne soit perceptible dans l’ouvrage de Xochitl Borel.Mais le regard à la fois tendre et implacable de celle-ci (terrible regard d’enfant, comme celui de la petite Aneth de L’Alphabet des anges), sa relation très instinctive avec la terre et les êtres, les fleurs et les étoiles, sa pénétration des cœurs et son attention aux pulsions parfois irrépressibles de ses personnages, son humour et sa mélancolie latente me rappellent l’atmosphère du réalisme poétique « latino » aux personnage chaleureux dans un monde froid, avec telle voix de femme qui n’en finit pas de se demander « pourquoi la guerre, mon amour », etc. Xochitl Borel. L’Alphabet des anges. Prix du roman des Romands et Prix de Lettres-Frontière. Editions de l’Aire, 2014.Les Oies de l’île Rousseau. Editions de l’Aire, 2017, 291p.

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