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Putains de victimes

Publié le 30 mai 2017 par Jlk

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Chroniques de La Désirade (3)


De la "colognisation" selon Kamel Daoud, et comment un prêtre catholique pervers appliquait sa charia en violant des adolescentes coupables de le tenter. À découvrir : l'exceptionnel document humain constitué par la nouvelle série The Keeper, signée Ryan White, nourrie par le besoin de justice de quelques femmes et de quelques hommes affrontant l'omertà des pouvoirs institués.


On sait, depuis l'affaire de la pomme et du serpent, quelle terrible tentatrice est la femme, et le scandale continue: partout, en terres chrétiennes ou musulmanes, et jusqu'en Asie sûrement, d'innocents jeunes gens et autres messieurs rangés de tous les âges se font allumer par autant de tendrons et autres cougars qui les forcent à pécher par la chair. Et comment soigner le mal ? Certains mâles ont trouvé la réponse, qui extirpent le mal par le mal, en traitant de putain l'impure qu'ils violent pour son bien.

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Le père Maskell et le père Marcus, compères violeurs...

Le père Joseph Maskell, aumônier à diplômes de psychologie, à la fin des années 60 à Baltimore, s'est fait le spécialiste de cette thérapie, en théologien catholique raffiné à lèvres serrées et regard de tueur - au dire d’un policier.
Ailleurs dans le monde, aux Indes malpropres ou en Valais rural (même si l'adolescente violée d'Evolène est un peu oubliée de nos jours), des mâles moins stylés, aujourd'hui encore, violent et chargent leurs victimes de la responsabilité de leur abus.
En janvier 2016, le chroniqueur algérien Kamel Daoud publiait, dans Le Quotidien d'Oran, un texte intitulé La colognisation du monde, revenant sur les "faits tragiques et détestables" survenus dans la gare de Cologne au tournant festif de la nouvelle année, justement dénoncés avant qu’ils n'alimentent une psychose à double face combien révélatrice.


Kamel Daoud forge un nouveau concept désignant un syndrome: "Colognisation. Le mot n'existe pas mais la ville, si: Cologne. Capitale de la rupture. Depuis des semaines, l'imaginaire de l'Occident est agité par une angoisse qui réactive les anciennes mémoires : sexe, femme, harcèlement, invasions barbares, liberté et menaces sur la Civilisation. C'est ce qui définira au mieux le mot “colognisation”. Envahir un pays pour prendre ses femmes, ses libertés, et le noyer par le nombre et la foule. C'est le pendant de la “colonisation”: envahir un pays pour s'approprier ses terres”.
Et Daoud de rappeler les faits avant de pointer une généralisation relevant du traumatisme collectif voire du fantasme: “On arrive à peine à faire la différence entre ce qui s'est passé dans la gare et ce qui se passe dans les têtes et les médias”.
D'un côté un agresseur identifié comme le barbare emportant son butin vers la broussaille. De l'autre, une vision de la femme occidentale dont la liberté n'est que "caprice, vice ambulant, provocation qui ne peut se conclure que par l'assouvissement. “La misère sexuelle du monde “arabe” est si grande qu'elle a abouti à la caricature et au terrorisme. Le kamikaze est un orgasme par la mort".
Et le serpent du puritanisme ou de la dialectique binaire de se mordre la queue: “Les faits tragiques et détestables survenus dans cette gare sont venus cristalliser une peur, un déni mais aussi un rejet de l'autre: on y prend prétexte pour fermer les portes, refuser l'accueil et donner de l'argument aux discours de haine. La “colognisation” c'est cela aussi : une peur qui convoque l'irraisonnable et tue la solidarité et l'humain".

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Cathhy Cisnek, assassinée à 26 ans.

La solidarité et l'humain: telles sont les deux forces qui ont porté de faibles femmes dans la soixantaine, et quelques hommes de bonne volonté dont un vieux prêtre adorable, à rétablir la vérité à propos du meurtre d'une jeune religieuse, sister Cathy, qui en savait un peu trop sur les faits “tragiques et détestables” survenus dans le collège religieux de jeunes filles où elle enseignait, aimée de tous au dam de deux prélats prédateurs, violeurs en série aux sourires patelins.
Quoi de commun entre la tragédie de Baltimore, où le meurtre inexpliqué d'une jeune femme révèle bientôt une sordide affaire de viols à répétition, et le déchaînement de mâles en rut dans la faille de la permissivité occidentale ?
Disons : l'hypocrisie suprême d'un certain puritanisme accusant les victimes et pratiquant la loi du silence. Et cela encore: la généralisation non moins abusive qui voudrait que “tous les Arabes” ou que “toute l'Eglise”, etc. En attendant que Donal Trump accuse de terrorisme les civils qu’il fait bombarder, avant de leur fermer les portes de l’Amérique avec la bénédiction de son copilote.

Il y aurait de quoi désespérer, mais non: gardons-nous de généraliser et restons sereins, les enfants. Or ce qui frappe, justement, à la lecture des chroniques de Kamel Daoud ( entre autres observateurs honnêtes du monde contemporain), autant que dans le témoignage des formidables personnes (tous de si beaux visages) attachés à rétablir la vérité sur l'assassinat de Sister Cathy, c'est l'absence de toute haine et de toute certitude dans leur résolution, non moins ferme pour autant contre tout ce qui “tue la solidarité et l'humain”.

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Jean Hargadon Werner, témoin capital de The Keepers.

Kamel Daoud. Mes indépendances. Préface de Sid Ahmed Semiane. Actes Sud, 463p.
The Keepers, série documentaire à voir sur Netflix.


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