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30 mars 1951 Monique à Saint Germain des Prés

Publié le 15 juillet 2017 par Christinedb

30 mars 1951 Monique à Saint Germain des Prés

Comment suis-je arrivée là, au milieu de cet embouteillage? Je me sens perdue au milieu de ces voitures d’un  autre âge.

Seul le clocher de l’église de Saint-Germain des Prés qui vient de sonner me

30 mars 1951 Monique à Saint Germain des Prés
 renseigne sur ma situation … Je me faufile pour rejoindre la station de métro mais je me heurte aux grilles verrouillées, je remonte donc les escaliers et un kiosque à journaux qui affiche la presse me raconte les actualités et les magazines me présentent la mode.  Je découvre Einstein qui tire la langue pour ses 72 ans et des gros titres  qui expliquent ces embouteillages en pleine page.

30 mars 1951 Monique à Saint Germain des Prés
30 mars 1951 Monique à Saint Germain des Prés
30 mars 1951 Monique à Saint Germain des Prés

30 mars 1951 Monique à Saint Germain des Prés

Fascinée par ces unes, je ne fais pas attention à ce qui m’entoure, mais soudain j’entends son rire que je reconnaitrais entre tous.je me retourne, je cherche des yeux sa silhouette parmi la foule agglutinée à un arrêt de bus. La retrouver là, alors qu’elle m’a tant manquée me bouleverse.

Et je la vois, à trois mètres de moi accompagnée d’une amie, sans doute Marithé dont elle parle si souvent dans ses lettres envoyées à ses parents qui habitent en Espagne. Elle est si jolie! Monique a 24 ans, elle est grande, 1m70 , brune avec des cheveux courts et ce si beau sourire que je retrouve chez ma fille.

30 mars 1951 Monique à Saint Germain des Prés
Monique en 1951

Je n’ose lui parler… je m’approche pour écouter sa discussion, je sais c’est indiscret, mais comment l’aborder sans être submergée par l’émotion? Comment lui dire: je suis ta fille alors qu’elle ne connaît pas encore mon père et que nous sommes, mes frères et moi, à cet instant, qu’un vague rêve dans son esprit.

Je tends l’oreille :   » j’ai eu une semaine bien remplie. » J’avais besoin de me délasser avec toi, dit-elle. « En effet j’ai bien travaillé, j’ai fait des tas de rangements, mis des tas de notes à jour, des tas de papiers, toute la paperasserie des jeannettes à jour. » Monique est cheftaine et fais ses études à l’Institut Familial Ménager 12 rue Monsieur à Paris VIIe. Elle a obtenu en 1949 le « Certificat d’aptitudes sociales », en 1950 le « Certificat d’aptitude professionnelle pour la profession de lingère » et  le « Certificat d’aptitude Professionnelle de la couture épreuve Flou » et elle vient d’obtenir le 20 mars 1951, le « Certificat d’aptitude professionnelle pour la profession de Ménagère »

Marithé l’écoute  » J’ai fait beaucoup d’anglais, mes notes de cahier de coupe, ce qui est extrêmement minutieux et il faut du temps, car on reste facilement 1/2 h sur un petit patron. J’ai fait de la couture, refait ma jupe de tailleur marron. Et me voici en vacances complètes depuis mercredi soir, jusqu’à mardi.  En fait, je ne suis allée que mardi toute la journée en cours, mais c’est dur toute une journée. Et la grève des métros autobus, continue inlassablement , ce qui fait que tout le monde se calfeutre chez soi. On emploie des moyens de fortune. Dimanche je suis allée à ma réunion de jeannettes. » Cela fait quelque temps qu’elles ne se sont pas vues et Monique

30 mars 1951 Monique à Saint Germain des Prés
Monique et Marithé en 1950

semble avoir beaucoup à raconter à son amie qui parle trop bas pour que je l’entende, Monique continue: « J’ai déjeuné chez les V. et  Mme V. est toute heureuse à la pensée d’être grand-mère, oui déjà! c’est pour le mois de juin, il me semble.  Pour revenir, j’ai pris un camion militaire à la porte d’Auteuil qui m’a emmenée à la Concorde, là j’ai traversé le pont à pied et j’ai pris l’autobus 63 qui m’a menée à Saint Germain des près. Oui il y avait un autobus, il y en a 3 sur la ligne mais ils sont suivis d’autos de la police, comme à chaque station de métro, il y a deux militaires armés car le métro marche au ralentit et quel ralentit, il ne s’arrête qu’aux stations de correspondance. Mardi soir à 6h j’ai attendu 40 minutes debout dans le métro. Il ne s’agissait pas de perdre  sa place sinon on était relayés au dernier plan et comme c’était le dernier métro, il ne s’agissait pas de le perdre. »

« Il y a quinze jours, le dimanche soir, je suis allée au théâtre avec un jeune homme dont je n’ai aucune nouvelle!!!!  J’ai vu… ce n’est pas une pièce, c’est un genre de Branquignol, tu sais, ce sont des variétés, c’était très amusant. Je ne vois toujours pas pourquoi il m’a invité, alors que les 2 fois où nous sommes sortis danser, il ne m’a pas fait danser et m’a presque ignorée!! Dimanche il a été charmant et m’a même proposé d’aller visiter une galerie de peintures!!!! »  

Marithé sourit, et se confie à son tour sans que j’entende un mot… Puis Monique reprend

« Dimanche dernier, j’ai invité à déjeuner Marie et et nous sommes allées ensuite voir à l’opéra « Jeanne au bûcher » de Claudel, musique d’Honegger, c’est une pièce moderne. Inutile de le dire Claudel et Honegger en disent assez long. C’est moderne donc c’est assez dur, mais c’est formidable.  Il n’y a qu’un décor et un seul pour toute la pièce. Jeanne est jouée par l’héroïne de Justice est faite » Claude Nollier.

Mercredi je reprenais mes cours, jeudi j’y suis allée toute la journée et le soir pour me remettre si je peux dire cela, je suis allée au cabaret des ambassadeurs, rien que cela,  pour un cocktail Cezano gratuit qui était donné là de 6h1/2 à  8h1/2. J’y suis allée avec Andrée et Marie. Il y avait des attractions, des chanteurs. C’était très bien.

Hier je suis allée à mon cour et j’ai bien travaillé, j’ai fait un déchiffrage de robe en papier de soie. La monter comme une vraie robe ce n’est pas très commode  et puis j’ai fait un patron type à Marie et puis travaillé mon anglais , j’en suis à la 22ème leçon….

…Lundi matin j’irai chercher mes frères et avec cela toujours la grève des transports. On grimpe dans les camions militaires avec une dextérité formidable. Les cars sont vides parce qu’ils sont trop chers « 40frs ». On fait du métro: un rapide qui brule toutes les stations et s’arrêtent qu’aux correspondances. On va d’Odéon à Montparnasse en brulant 3 stations, de Sèvres à Concorde, la même chose  et de Trocadéro à Franklin Havre Caumartin. Et ça n’a pas l’air de vouloir s’arrêter. Le métro c’est une boîte à sardines. Ceux qui descendent poussent les autres dedans. Les parisiens font les guides auprès des pauvres militaires qui ne sont jamais venus à Paris et qui conduisent!!!! On fait de l’autostop et on continue à marcher, tout le monde va à son travail. »

Je les observe, partagée entre l’envie de m’approcher plus, pour poser des questions à celle qui épousera mon père le 27 juin 1953 et qui donnera naissance à 4 enfants entre 1954 et 1959 (mes 3 frères et moi) mais qui nous quittera bien trop tôt en 1979 et l’envie de fuir pour cacher l’émotion qui m’étreint à la voir si jeune, si belle et si gaie!

Je choisis de laisser s’éloigner ces deux jeunes femmes, elles passent devant le café de Flore devant lequel résonne à nouveau son rire puis elles tournent dans la Rue Saint-Benoît.

30 mars 1951 Monique à Saint Germain des Prés

Elles ont disparu. Je reste immobile à la fois heureuse de l’avoir revue et nostalgique de ma vie avec elle pendant 22 ans. Je ferme les yeux…

Lorsque je les rouvre, je retrouve mon époque…


Cet article a été rédigé dans le cadre du #RDVAncestral, un projet d’écriture, ouvert à tous, qui mêle littérature et généalogie. En savoir plus.

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