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Les Super-héros pour les Nuls*

Publié le 25 octobre 2017 par Zebralefanzine @zebralefanzine

De quoi les Super-héros sont-ils le nom ? D'une propagande patriotique assez banale, comme on peut lewebzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,kritik,critique,super-héros,éric delbecque,largo winch,homère,ulysse,hannah arendt penser au premier abord ?

Il ne faut pas compter sur Eric Delbecque, "expert en intelligence stratégique" (sic) pour nous le dire car, sous couvert d'étude et de vulgarisation, il publie en réalité chez "First-Editions" un plaidoyer en faveur des super-héros.

A en croire Eric Delbecque, l'industrie du divertissement américaine n'est pas seulement une industrie du divertissement, par-dessus le marché elle véhicule des valeurs "humanistes".

Tout en énumérant les trente-six variétés de super-héros pas très variés, l'auteur en profite pour distiller sa propagande aux accents macroniens (= le capitalisme, c'est cool) ; l'ensemble forme un tissu d'allégations fantaisistes ("La tradition républicaine n'aime guère les hommes d'exception" ; "Si Jésus ne fut jamais un chef de guerre, il synthétise un bon nombre de figures antérieures symboliques et mythologiques de l'histoire de l'humanité (païenne et juive) qui occupent la place d'intercesseurs, de ponts, dans la verticalité spirituelle, à savoir : les pharaons égyptiens, les demi-dieux gréco-romains, Prométhée, Nemrod ou Caïn".)

...et d'allégations contradictoires, comme cette diatribe contre l'idéologie (p. 195), alors même qu'il n'y a pas de but plus idéologique que celui assigné au super-héros de "sauver le monde".

Au second degré (rarement atteint par les "comics"), on pourra trouver quelques passages cocasses; par exemple quand Eric Delbecque nous explique que la série (belge) "Largo Winch" a le mérite d'affranchir ses lecteurs sur le monde des affaires ; ou encore quand il prétend que Wonder Woman contribue au féminisme... sans pour autant réveiller ou prolonger la guerre des sexes. "De surcroît, les dessinateurs de comics subliment les corps féminins sans tomber dans le machisme ou la vulgarité, ce qui contribue au bout du compte à une valorisation intégrale des femmes, tout aussi bien morale qu'intellectuelle, psychique et physique" [amen]. 

Le bouquin contient deux allégations erronées qui méritent d'être infirmées : la culture des super-héros est qualifiée de "populaire". Ses moyens de production, largement industriels, indiquent qu'il s'agit d'une culture de masse, produite par conséquent par les élites politiques et économiques afin de susciter un mouvement d'adhésion (la culture de masse opère comme la religion autrefois). Les cultures populaires authentiques contiennent un élément de défi ou de méfiance à l'égard des élites. Quant aux "super-héros", ce sont tous ou presque des "super-flics".

Ce rôle de supplétif de la puissance publique assigné aux "super-héros" est le premier indice montrant que cette culture diffère nettement de la mythologie grecque (ou biblique, puisque E. Delbecque convoque aussi la Bible à l'appui de sa thèse). Bien plutôt qualifiable de "barbare", du point de vue grec, une culture dont la défense de la puissance et de l'ordre publics représentent le point d'orgue.

"L'Iliade" n'est pas un récit patriotique ; Homère ne prend pas parti pour les Achéens contre les Troyens ou vice-versa; Homère prend parti pour Ulysse contre Achille, c'est-à-dire pour une forme d'héroïsme supérieure. Même Achille est trop "individualiste", pourrait-on dire, pour se situer au niveau d'un super-héros américain exalté par des sentiments patriotiques.

Une expression d'Eric Delbecque contredit sa propre tentative d'ériger la culture des super-héros en culture capitaliste humaniste ; en effet, définissant la culture des super-héros comme "un reflet des aspirations et des pulsions de la société américaine", il la situe aux antipodes de la mythologie grecque ; celle-ci ne reflète pas la culture ou la société grecque antique, ne vise pas à la justifier mais à la transcender.

Les Super-héros pour les Nuls, par Eric Delbecque, First-éditions, 2016.

P.S. : Au milieu des années 1950, examinant la question de la culture de masse et l'avenir de la société de loisirs, l'essayiste Hannah Arendt écrivait ceci : "(...) Quand livres ou reproductions sont jetés sur le marché à bas prix et sont vendus en nombre considérable, cela n'atteint pas la nature des objets en question. Mais leur nature est atteinte quand ces objets eux-mêmes sont modifiés - réécrits, condensés, digérés, réduits à l'état de pacotille pour la reproduction ou la mise en images.

Cela ne veut pas dire que la culture se répande dans les masses, mais que la culture se trouve détruite pour engendrer le loisir. Le résultat n'est pas une désintégration, mais une pourriture, et ses actifs promoteurs ne sont pas les compositeurs de Tin Pan Alley, mais une sorte particulière d'intellectuels, souvent bien lus et bien informés, dont la fonction exclusive est d'organiser, diffuser et modifier des objets culturels en vue de persuader les masses qu'Hamlet peut être aussi divertissant que My Fair Lady, et, pourquoi pas, tout aussi instructif.

Bien de grands auteurs du passé ont survécu à des siècles d'oubli et d'abandon, mais c'est une question pendante de savoir s'ils seront capables de survivre à une version divertissante de ce qu'ils ont à dire." (In : "La Crise de la Culture")


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