Magazine Journal intime

Des ogres et des proies

Publié le 07 octobre 2017 par Malm @3615malm

Ogres (résumé ici) est un spectacle écrit par ann Verburgh, mis en scène par Eugen Jebeleanu.

Homophobies en fiction

On peut dire que le travail de documentation qui a précédé et accompagné l’écriture d’Ogres, (plus de 300 témoignages de violences homophobes, collectés dans le monde entier par l’auteur) marque le spectacle du sceau de la réalité. La fiction s’insère naturellement et se tisse dans ce spectacle « dit de » théâtre documenté.

Eugen Jebeleanu insiste sur la volonté de la Compagnie des Ogres de proposer une ouverture à la réflexion pour tous : la démarche artistique de l’équipe devait s’inscrire, avant même de débuter les répétitions, dans un désir commun de s’adresser à n’importe quel spectateur, qu’il ou elle soit concerné(e) « ou non » par la cause LGBT/QIA. Pari réussi.

Quand on les interroge sur leur manière d’aborder les changements constants de personnages auxquels ils et elles doivent faire face tout au long de la pièce, les acteurs d’Ogres affirment qu’ici plus qu’ailleurs « la situation prime sur l’incarnation ». Chacun devient victime, bourreau, puis redevient victime, sans que jamais une marche ne soit ratée, un enchaînement négligé.

Des récits au conte

Le bois, la nuit sont omniprésents dans Ogres et constituent à eux deux autre chose qu’unités de lieu ou de temps : ils sont un personnage à part entière.

Á la fin du spectacle, un adolescent (de nationalité russe : la pièce parcourt une réalité sombre et universelle) s’enfonce dans cette entité, ce bois franchement lugubre. Le « petit » vit embourbé dans une existence faite de tortures répétées et d’humiliations : il court entre les arbres, après l’assistante sociale de son lycée – tout en essayant de fuir ses propres ogres. Ce n’est qu’un enfant : il demande de l’aide, à une adulte de son entourage. L’interlocutrice une fois rattrapée par l’ado rappelle alors, entre autres gentillesses, qu’elle n’a légalement pas le droit de parler d’homosexualité avec un mineur. La pièce est faite de ça : de pistes, de petits cailloux laissés sur le chemin de la réflexion personnelle du spectateur.

Ailleurs, moments autres, une fée, une « diva » – dira une jeune spectatrice à l’issue de la rencontre – apparaît à plusieurs reprises. Vêtue de robes à paillettes, la jeune femme chante merveilleusement et vient apaiser les tourments du spectateur, lui offrant un peu de cet oxygène qui manque par moment. Eugen Jebeleanu dira de cette apparition (appelons-la comme ça), qu’elle est une référence au conte – essentiel dans sa réflexion et son propos artistique comme dans ceux de Yann Verburgh. La balance entre imaginaire (rêve ou cauchemar) et réalité oscille, passant de l’un à l’autre, selon un même battement que celui par lequel les acteurs d’Ogres deviennent tour à tour bourreaux puis victimes.

La présence répétée de cette femme « magique » qui erre – comme chacun – au coeur de la forêt nous évoque ces êtres doux, celles et ceux qui sentent bon l’amour « et la fleur d’oranger ». Car si, dans notre monde, les ogres existent (aucun doute là-dessus) les gens magiques qui peuplent nos quotidiens et nos nuits existent tout autant. Ce spectacle nécessaire nous rappelle aussi cela, à chaque instant.

Ogres – édité chez Quartett – avec  Gautier Boxebeld, Clémence Laboureau, Redouan Feflahi, Claire Puygrenier.



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