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Tomi Ungerer : être de passion(s)

Publié le 17 novembre 2017 par Malm @3615malm

Le plaisir ressenti quand on parcourt les ouvrages d’Ungerer, même des centaines de fois, reste le même au fil du temps. Phénomène rare. Particulièrement quand il s’agit de se frotter à la littérature jeunesse – d’où l’importance de trouver des livres et des auteurs qui nous plaisent impérativement à nous, parents.

Si je consens encore parfois à lire Tchoupi (j’essaie pourtant d’esquiver : c’est vrai), je me réjouis plus que tout quand « on » m’amène « un Tomi » à lire ou à explorer. De ses Pensées secrètes pour les grands à sa production monumentale pour la jeunesse, tout est bon dans le Tomi.

Sa vie, son oeuvre

L’alsacien naît en 1931 puis perd son père très vite, vers l’âge de quatre ans. L’enfant qu’Ungerer restera indiscutablement idéalise beaucoup cette figure masculine absente. Cela se sent surtout dans ses oeuvres de jeunesse (je trouve). Le petit Jean-Thomas –  de son vrai prénom – aura connu l’Allemagne nazie, les écoles d’endoctrinement, le droit de parler telle langue, l’obligation de ne plus la parler du tout. Appartenir à une nation puis à l’autre, l’ennemie, vivre dans une zone de conflit perpétuel, de frottement, de ballotage : l’enfance terrible de Tomi Ungerer marquera toute son oeuvre. Plus tard, Tomi Ungerer deviendra d’un coup, à peine débarqué à New York, une grande star de l’illustration. Après un beau parcours aux US, il défraiera la chronique avec, pendant la guerre du Vietnam, ceci :

Tomi Ungerer : être de passion(s)

Ou, plus tôt (pendant les émeutes provoquées par les combats pour les droits civiques dans les 60’s), cela :

Tomi Ungerer : être de passion(s)

Rejeté par l’Amérique puritaine, en transit plusieurs années vers le Canada, l’auteur tombera littéralement sous le charme de l’Irlande, où il vit avec sa famille depuis quarante ans. Ungerer écrit et dessine pour les adultes (livres érotiques, affiches, etc.) et bien sûr, vous l’aurez compris, pour les enfants. En France sa littérature jeunesse est éditée par l’École des Loisirs – qui fait un travail formidable depuis des années, il faut le dire et le répéter sans cesse.

J’aimerais pouvoir parler ici d’un maximum d’ouvrages d’Ungerer, approfondir sur sa géniale collection des « animaux délaissé »s (Rufus, Adélaïde, Crictor, Émile…), soit des vautour, poulpe, kangourou, chauve-souris. Les vies de ces animaux sont faites d’exploits, de choix, de blessures et d’affirmation d’eux-même. Ces animaux « peu sexys », dont personne ne parle habituellement remplacent dans l’oeuvre d’Ungerer les ours, lapins et autres petites souris, légion dans les livres pour enfants.

J’aimerais aussi vous parler du Maître des Brumes et du rapport magnifique, donc, que l’auteur entretient avec l’Irlande, pays que j’aime moi aussi beaucoup.

Je voudrais passer plus de temps sur Les Trois brigands, probablement le plus grand succès de l’auteur, et sur le traumatisme que cet ouvrage a provoqué chez moi vers l’âge de trois ans (traumatisme qui fait qu’aujourd’hui j’adore ce livre, que je le lis tout le temps et en parle beaucoup avec « les personnes concernées »).

L’oeuvre d’Ungerer est immense, je le répète ; focalisons-nous maintenant sur trois de ses ouvrages jeunesse.

Amis Amies, Trémolo, Jean de la Lune

Chacun de ces titres fait preuve d’une originalité sans pareille. Il est souvent question, chez Ungerer, d’exacerber l’audace, la force et la créativité, de mettre en avant et de valoriser ces qualités. Jean de la Lune, initialement écrit en anglais (US) constitue clairement, avec Crictor (selon moi toujours) son « oeuvre de jeunesse pour la jeunesse » majeure. Trémolo est sorti en 1998, date d’obtention du Prix Hans Christian Andersen par T.U. (il s’agit clairement du Nobel de l’illustration). Amis Amies quant à lui, ode aux déferlements d’idées et de créativité, a tout juste dix ans aujourd’hui.

Tomi Ungerer : être de passion(s)

Amis Amies évoque la question des différences (minorités) visibles. La propension à la solitude que génèrent une créativité anormalement développée chez certains d’entre nous et la grande sensibilité qui peut découler de ça sont les thèmes majeurs abordés dans le récit. C’est, je crois, l’un des meilleurs livres illustrés que j’ai eu la chance de tenir entre mes mains. L’histoire d’amitié entre ces deux enfants est simplement géniale. Les illustrations sont complètement barrées et peuvent faire l’objet d’heures de discussions sans cesse renouvelées. Cela dit, l’ouvrage semble se faire de plus en plus rare : il n’y a apparemment pas de réédition prévue pour le moment.

Trémolo aussi évoque la question de la créativité, l’obsession de l’art et l’incompréhension que celle-ci peut susciter parfois dans le commun des mortels. Faire, fabriquer, jouer (de la musique…) ne regarde finalement et avant toute chose que celle.celui qui pratique. Les autres ne vivent parfois pas nos passions comme un plaisir, loin de là : et alors ? Là où certains auteurs ou artistes demanderaient « comment faire pour être compris, accepté ? » il est justement question, chez Ungerer, de ne pas chercher à l’être. D’Émile à Jean de La Lune en passant par Trémolo ou Rufus, ses/ces personnages acquièrent une certaine notoriété mais finissent par décider de vivre plus ou moins seuls – même si l’amitié est une notion très forte, très présente dans les livres d’Ungerer. On n’est jamais mieux servi que par soi-même. Il faut se faire plaisir, savoir se faire confiance : un message urgent, délivré avec brio par l’auteur.

Jean de la Lune n’échappe pas à la règle. Lunien sympathique et rondouillard, Jean vit seul et loin du monde, qu’il voit de sa lune-maison. Il finit par accéder à la terre, suite à un voyage en comète. À la fin de l’histoire, « on » nous apprend, je cite, que « Jean de la Lune trouvait qu’il n’avait pas été, en somme, bien reçu par les hommes de la Terre. Il lui tardait de retrouver sa vie tranquille. » Même s’il glorifie l’expérience, le « faire », le voyage, Tomi Ungerer rappelle dans chacun de ses livres l’importance de la vie intérieure, du goût de la solitude. Les clés que peuvent apporter la rêverie, l’imaginaire sont essentielles à la construction de tout individu.

L’auteur, s’il n’exclut pas la vie en collectivité, rappelle combien il est important d’être bien avec soi-même, de savoir faire des choses seul.e, de pouvoir construire sa vie avec et par soi-même à travers son monde intérieur. L’imaginaire, les idées doivent être acceptées, cultivées et parfois-même « domptées ».

Je ne vous parle pas ici de tous les livres de Tomi Ungerer : encore une fois son oeuvre est incroyablement vaste et il me reste encore, fort heureusement, plein de choses à découvrir.

Pour en savoir plus, le documentaire Tomi Ungerer – l’esprit frappeur est génial. Vous pouvez le voir en location notamment sur Youtube pour la modique somme de 2,99 Euros. Vous découvrirez Ungerer en son musée, en plein coeur de Strasbourg. Vous pourrez alors jeter un oeil amusé à sa belle collection d’objets de bon goût et aurez la chance de voir (oh !) une magnifique statue d’Hans Bellmer, constituée de deux mannequins en plastique aux formes féminines, soudés au niveau du ventre. Dépourvus de toute partie supérieure (ni bras, ni seins, ni têtes) les deux corps ainsi montés ne font plus qu’un : le monstre est exclusivement pourvu d’un double arrière-train et de quatre jambes. Selon Ungerer, cette statue est sensée représenter l’Alsace, l’un des deux côtés étant « destiné » à la France et l’autre à  l’Allemagne. En plus d’être un génie total, l’irrévérencieux reste parfaitement impayable.

MALM / 20171117



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