Magazine Journal intime

Hold-up ou presque

Publié le 26 décembre 2017 par Barbu De Ville @barbudeville

Nous sommes en 1991. Je travaille de nuit au Petro ACT sur la rue Principale à Lachute. Le gaz est à 53 cennes le litre. Je travaille au salaire minimum. Plus minimum que ça tu fais du bénévolat. J’ai 18 ans, pas de 5e secondaire et une moustache molle. J’ai dans mon compte beaucoup plus d’argent qu’aujourd’hui ramassé en travaillant au salaire minimum. J’habite dans un beau logis qui me coûte seulement 150$ par mois, une ligne téléphonique 14$ et le câble 15$. La vie était simple.Je passe mon temps entre les arénas, les parcs de balle et la bibliothèque. Le vendredi soir, je vais me saouler au « Saloon » sur la rue Béthanie. Juste au-dessus de nos têtes, il y a le mythique club « Le Vide Sac ». Il faut savoir qu’à l’époque le « bock » de draft était 1$. Oui, oui, les jeunes 1$. J’ai souvent sorti de là à quatre patte. La bière était bonne, les filles étaient belles, la musique du jukebox tournait toujours autour du Seattle Sound. Cette époque appartient à Nirvana, Pearl Jam et Soundgarden. Musique Plus ne présentait encore que des clips. J’étais un fidèle téléspectateur de Solid Rock avec Paul Sarrasin. Je jouais à la fastball dans la ligue des 4AS avec toutes sortes de sbires!Parfois, le proprio du bar mettait Slap Shot sur l’écran géant! Un succès monstre. Mon record de draft bues en une soirée, 26, mon frère 29 et l’unique Mart Lachance 32! Oui, oui, vrai comme je suis en train d’écrire ces mots. Mart est connu à Lachute comme Barabbas dans la Passion! Il est aux limites d’être mythique mais certainement légendaire. Si, sur la terre il n’y avait que des Mart Lachance eh bien la terre se porterait mieux. Il est un des plus beaux humains que j’ai côtoyé dans ma vie.Je travaille donc de nuit par choix car j’avais de la misère à m’endurer moi-même. J’ai des amies santé parfois. À l’époque, je voulais la vie la plus simple possible car entre mes deux oreilles c’était tout sauf simple.J’avais toutes sortes de clients de nuit. J’adorais ma clientèle hétéroclite. J’avais les gars de la SQ qui m’apportaient presque à tous les soirs du café et des beignes. Le gars du salon funéraire Ménard me donnait son Journal de Montréal de la veille. Les danseuses du 3 Puces qui parfois me flashait leur seins en me disant: « Ti’n v’là ton tip ». Mike qui revenait souvent à pied de la Patate Labelle avec une poutine pour nous deux en se contant des peurs sur le Canadien de Montréal! Deux gars dans une station de gaz qui refont l’alignement du Canadien presque trop souvent!Ce soir-là, on était en plein dans les festivités de la foire agricole ou si vous aimez mieux le County Fair de Lachute. Petro Act était au coin de la rue Hamford, la rue de la foire. Du garage, on pouvait sentir le chaos poindre à l’horizon. La porte du garage était grande ouverte. J’étais assis sur ma chaise berçante, j’attendais mes clients. Il était minuit moins une et la vie était simple. À la radio, j’écoutais les menteries du Baron Chantelois juste avant l’ineffable Fabi la nuit! Mes Expos avaient encore gagné au son de Jacques Doucet!À minuit je devais rentrer et barrer ma porte au cas où quelqu’un voudrait me cambrioler. Mais je servais les clients à la pompe! Allez comprendre la logique! Donc je suis embarré temporairement et arrive en plein mois de juillet vers 12h30, un gars en cagoule de laine. Oui, en cagoule de laine à +25!   Le gars en cagoule: « Ouve-moé ‘a porte, j’veux un paquet de cigarettes! »Moi: « Tu m’prends-tu pour un cave? »Il sort de son long manteau une barre à clou et me dit: « J’vas défoncer si tu ouves pas l’smatte! »Sous la cagoule je reconnais Mike! Si vous êtes attentifs lectrices et lecteurs, plus haut dans le texte, je parle de Mike et des poutines qu’on partage ensemble…Moi: « Mike câlice, c’est la fin du mois pis t’as pu une cenne là. Pis la seule chose que tu trouves à faire c’est de venir me hold-upper gros tata? »Le gars en cagoule: « C’est pas moé! »Moi: « Enlève ta cagoule « épas » ! J’te fly un 20$ si tu nettoies le Car-Wash à ma place! Let’s go! Excuse-toi gros tata pis va nettoyer le Car Wash! Ça ou je te câlisse une rince. »Ce soir là, Mike a enlevé sa cagoule et a nettoyé le Car-Wash.Laissez-moi vous raconter l’histoire de Mike, le crosseur de poule morte!Mike est né dans l’faubourg à m’lasse. Il a déménagé à 10 ans pour venir habiter dans le Bronx de Lachute! C’est comme gagner deux fois la 6/49 à l’envers! Si tu voulais de l’alcool qui rend aveugle, des cigarettes avec des plumes, de la poud’ coupé avec du Ajax, des peanuts, tu n’avais qu’à « pager » Mike 24/24 à votre service. C’était l’époque et Mike était de son époque. Il avait des bras gros d’même, un « chest » gargantuesque mais le cordon du cœur lui traînait dans marde! Il était lâche comme un âne! De mémoire de Barbu, à part nettoyer mon Car Wash le soir, j’ai jamais vu Mike travailler. Il était un être complexe notre Mike national. C’est le genre d’humain avec lequel on aurait pu faire une thèse universitaire!Vous savez l’expression « vendre sa mère »? Dans le cas de Mike c’est vrai! Il l’aurait vendu pour pas grand-chose à part de ça! Sa mère buvait trop et son père battait sa mère. Un genre de duo burlesque comme pouvait l’être Ti-Gus et Ti-Mousse mais en plus triste! Mike n’a jamais eu de cadeaux à Noël, jamais.  Ses parents n’ont jamais installé Noël à la maison, ni dehors ni en dedans!Un certain décembre de 1983, j’étais en 5e année du primaire à l’école St-Alexandre dans la paroisse de Sainte-Anastasie et Mike était dans ma classe avec Madame Chénier! Enfin, si ma mémoire de Barbu est bonne. Nous avions eu un échange de cadeaux et Mike n’avait rien apporté mais moi j’avais donné un Tonka à Mike! Il était tellement content que c’en était gênant! Aux fins du présent texte, quelques semaines plus tard j’ai donné à Mike le reste de mes Tonka. Il en avait plus besoin que moi!À 18 ans il avait encore les Tonka que je lui avais donné. Honnêtement, dans toute ma vie j’ai jamais vu un aussi beau sourire. Le voir, sourire fendu jusqu’aux oreilles devant les Tonka, c’était d’une beauté sans nom. J’ai encore aujourd’hui en mémoire ce moment! Je me rappelle de ton sourire dans ta grosse face Mike! Je m’en rappelle dans le texte et dans ma tête! Mike a grandi comme pousse la mauvaise herbe! Il était difficile à aimer! Un Tabarnak comme on dit! Mike Tabarnak!La première fois que j’ai été aux danseuses j’avais 18 ans!  C’était avec lui au mythique Chatham, là où les danseuses du Québec vont mourir. Là, ta serveuse c’est ta danseuse et ça fait tellement longtemps que l’effeuilleuse dansait au table et il n’y avait pas de cabine!

En entrant, personne d’autre que moi, Mike et une serveuse…Serveuse/danseuse d’une autre époque: « Vous allez boire quoi mes garçons? Icitte on a juste des grosses quilles! »Nous, perplexes: « Heu, Black Label SVP! »Mike interrogatif: « Tu danses-tu toè? »Serveuse/danseuse d’une autre époque: « J’danserais bin mais j’sus menstruée! J’peux t’montrer mes boules par’zemple! »J’ai jamais vu deux gars caler une bière aussi vite! J’ai jamais eu aussi pitié de quelqu’un! J’ai jamais eu aussi honte de moi!J’aimerais vous décrire la dernière minute de vie de Mike comme il se doit! C’est pas rien quand on y pense même si Mike était pas grand chose!!Je la possède dans mon crayon! Dans ma tête, dans mes souvenirs.Mike est retourné vivre, heu, vendre de la dope à Montréal! Et un certain mardi après-midi sur Ste-Catherine Est, il a volé un CD chez Archambault Musique! Il est parti en courant! Avec ses grandes jambes, il est sorti du disquaire à la vitesse du son, il a traversé la rue et puis…. pu rien! Noir total! Pu de lumière comme dans le néant, comme dans fin des émissions! On aurait pu sortir le vieux Amérindien qui avait les bras croisés après les émissions à Radio-Canada, dans le temps que Radio-Canada était au 2! Mike était dans son sang, la tête éclatée… on a dit que la cervelle pendouillait le long de ses épaules et il avait un CD des Grateful Dead serré dans sa main gauche. Un éponyme avec Friend of the Devil dedans… ça s’invente pas!La semaine d’ensuite Mike a fait le  »cover » du Photo Police.  C’était en 93, je crois!Lettre à MikeMaudit bandit! Toi qui avais comme rêve ultime de passer dans le Photo Police… pis en plus la fille de la page du milieu, si je me souviens bien, avait pas de Black Label d’in main dans cette édition.Bon bin salut Salaud!



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