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Forough Farrokhzad | Le marécage

Publié le 06 janvier 2018 par Angèle Paoli

LE MARÉCAGE L a nuit s'assombrit et tomba malade. Forough Farrokhzad,
Les yeux furent assaillis par le réveil.
L'œil hélas ne se prive pas de voir.
L'œil hélas ne sait pas se voiler.
Lui, il s'en alla et découvrit en moi
une vieille terre des morts.
Il me trouva telle une attente vieillie. Une autre naissance, 1959-1963 in Œuvre poétique complète, Éditions Lettres Persanes, octobre 2017 (édition revue et augmentée), pp. 293-294. Préface de Christian Jambet. Traduit du persan par Jalal Alavinia, en collaboration avec Thérèse Marini.
Forough Farrokhzad  |  Le marécage
Il vit ce désert et ma désolation,
ma lune et mon soleil en carton :
tel un vieil embryon contre l'utérus,
déchirant sa paroi de ses griffes.
Vivante, mais envieuse de naître.
Morte, mais désireuse de mourir.
Se vantant de la douleur de se haïr,
endormie de la passion de se lever.
Son sourire, d'une tristesse inutile.
Honteuse de la pureté inutile du cœur.
Une lourde solitude du fait d'être amoureuse.
Une forte angoisse de la mort dans l'étreinte.
Jamais descendue du toit de sa maison,
étant témoin de sa propre exécution.
Ver de terre mais de terre puante.
Ses cerfs-volants dans le ciel pur.
L'inconnue de sa moitié cachée,
honteuse de son visage humain.
Cherchant partout son compagnon,
habituée du parfum de son ami,
elle court à sa recherche,
elle le retrouve parfois sans le croire.
Mais son ami encore plus isolé qu'elle.
Tous les deux vivent une peur réciproque.
Tous les deux malheureux et ingrats.
Leur amour, une passion répréhensible.
Leur union , un rêve soupçonnable.
Oh, s'il y avait un chemin vers la mer,
je ne craindrais pas d'y plonger.
Si l'eau cessait de couler dans un étang,
sans doute qu'il s'assécherait,
son corps serait la terre des pourritures,
son fond serait la tombe des poissons.
Ô gazelles, ô gazelles des plaines !
Si vous rencontrez à travers les prairies
un ruisseau chantant qui coule vers le bleu de la mer,
qui se repose dans le chariot de son débordement,
qui coule sur la soie de son courant,
qui, de ses griffes, tient la crinière du cheval du vent
qui est poursuivi par l'âme rouge de la lune,
qui fraie son chemin parmi les tiges vertes de l'herbe,
saisissant le parfum pur des arbustes,
avec ses bulles sous le reflet ample du soleil,
souvenez-vous de cette amie sans sommeil !
souvenez-vous de la mort dans le marécage !


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