Magazine Journal intime

Le bonheur en deux temps

Publié le 08 janvier 2018 par Barbu De Ville @barbudeville

Le bonheur en deux temps

Le bonheur est un moment burlesque qui dure le temps d’un clin d’oeil.

En 1985, j’aimais Chris Nilan car personne jouait aux bras avec lui. J’aimais Gary Carter car j’étais fasciné par son charisme au-delà même de son jeu, au-delà de sa technique. Les hommes voulaient être son meilleur ami, les femmes voulaient tous le marier, les enfants voulaient tous l’avoir comme père, et les adolescents le trouvait hyper cool. Moi encore aujourd’hui en 2018, je porte son numéro 8 sur le terrain. J’aimais le poster de Samantha Fox et ses immenses seins qui prenaient toute l’espace dans ma chambre. J’aimais tout autant celui de Farah Fawcett aux petits seins qui donnaient l’impression de vous pointer! J’étais amoureux.

En 1985, j’étais policier des quatres coins du petit Canada. Avec mon bicycle au « pognées » mustang, au « tires » balloune, au siège banane, j’avais fière allure et si on regardait de loin, de très loin, j’avais des allures de Poncherello dans l’émission Chips! J’étais le chef imaginaire du quartier et mon petit frère du haut de ses 9 ans était le sous-chef en chef!

Le bonheur en deux temps

En 1985, j’ai découvert la tag BBQ. J’ai découvert aussi que c’est pas toutes les filles qui se brossait les dents!

Il y avait pour jouer à la tag:

Lucie, jeune demoiselle au bec sale à l’infini avec une moustache de lait en permanence sur ses petites lèvres.

Hélène, douce comme un Tonka. Et si vous aviez le malheur de refuser de lui donner un bec, elle pouvait vous briser en deux ou crier comme ces folles dans les maisons de fous! Par contre, elle était l’une des seules filles avec qui l’on jouait à la tag qui portait des seins. La bouche d’Hélène est une explosion de fruits et ses seins un explosion de bonheur!

Nancy, une petite blonde aux yeux bleu désespoir! Un sourire magnifique qui aurait même fait fondre une laitue iceberg! Elle était toute mignonne mais tellement gênée. Mais une fois qu’elle vous avait accroché pour une tag, vous étiez maintenant dans les bras de la Cléopâtre du petit Canada. La bouche de Nancy goûte le Quench au raisin.

Marie-Soleil, son nom dit tout.

Stéphanie avec un i était le bonheur même. Elle portait en elle la vie et tout ce qu’il y a de beau. Elle était ce que j’espérais.  J’aurais donné mes cartes recrues de Wayne Gretzky, de Mario Lemieux sans aucune hésitation. Je le jure sur mon coeur de petit gars de 12 ans et sur ce que je possédais 2 posters et 2 cartes de hockey! Entre l’hiver de 1984 et l’été de 1985, des seins parfaits ont pris place sur son corps déjà presque parfait! En fait, elle n’était pas la plus belle, ni la plus mince mais à mes yeux elle était, avec ses cheveux rouge feu, la fin du monde ou le début de l’éternité. Sa bouche… pensez-vous vraiment que je vais vous dire au début de ce texte la saveur de sa bouche?

Nicole était un pot de colle. Nicole était le bécycle du petit Canada. Chaque garçon de la rue, les beaux comme les laids ont donné un p’tit coup de pédale. Nicole était en amour avec l’amour! Il n’y a qu’un garçon qui n’a pas donné de petit coup de pédale sur le bécycle et de mémoire, j’affirme haut et fort aux quatre coins du petit Canada que j’ai moi Patrick jamais embrassé le pot de colle.

L’Anglaise parlait une drôle de langue que personne comprenait. Ce fut mon premier libre échange dans le petit Canada avec l’autre solitude! Elle de me dire: « Pat, give me une baiser française! » Et la grenouille que je suis se transforma en prince BBQ le temps d’une tag! French kiss dans l’infini du samedi sans Stéphanie avec un i. Par la suite avoir mal à la bouche de trop de french kiss!

En 1985, Mr. MacPherson était propriétaire d’une genre de tabagie sur la Maine Street à Lachute. Un jour de mai, il fut tanné de me voir fouiner devant les magazines de lutte en anglais… Il y avait entre autres le fameux, le mythique Pro Wrestling Illustrated.

  • Mr. MacPherson: « J’ai un deal! Va me chercher un café O’Fanal à tous les matins pis toé tu va pouvoir t’assir icitte avec moé pis lire le magazine que tu veux

  • Moi avec les yeux gros comme des trentes sous: « DEAL! »

Donc, chaque matin de ce printemps et de cet été là,  j’allais chez MacPherson chercher des trente sous pour un café O’Fanal et je ramassais un sucre, deux crème!

Je lavais la vitre de la devanture de la tabagie aussi et je passais le reste de la journée à lire des magazines de lutte, de hockey (Hockey News), de baseball, de boxe (The Ring) le Journal de Montréal, spécialement l’ineffable Serge Touchette! Des heures de pur bonheur assis au coté de Mr. MacPherson qui fumait des Craven Menthol et me donnait une canette de Pepsi!

Le bonheur en deux temps

Lui de dire: « TABEURNAK! T’aime ça lire!!! »

Des fois encore le soir, quand je lis Ma Presse + ou un livre j’entends enfoncer profondément dans mon inconscient: TABEURNAK! T’aime ça lire!!!

Mr. MacPherson était vraiment bizarre. Il était gentil comme ça gratuitement. Il n’essayait pas de me pogner le cul! Après lui avoir donné son café, faisant changement que de traîner des caisses de 24 O’Keefe, j’allais nettoyer la vitrine de la tabagie. Presque tout le temps, il avait la face dans la fenêtre en grimaçant:

  • « Tabeurnak Pat! Chu capable laver mon fenêtre! »

Il toussait beaucoup surtout le matin avant son café. Il toussait comme le moteur d’un Ford à coup d’pied! Il était très vieux genre 80 avancé! Il m’a fait découvrir le vieux blues, celui de Robert Jonhson qui jouait en boucle dans la vieille tabagie d’un autre époque. Celui aussi de John Lee Hooker du Delta Blues, du Chicago Blues. Il était convaincu que Robert Johnson avait vendu son âme au diable pour son talent et c’est pour ça qu’il était mort à 24 ans!

Moi je crois Mr. MacPherson! Croix de bois, croix de fer si je mens je vais directement en enfer rejoindre Jonhson.

  • MacPherson: « Qu’ossé qu’on écoute Tabeurnak? »

  • Moi: « Only blues! »

  • MacPherson: « That’s my boy! »

Et de même le mois de mai fut rempli de mots, de musique que je garde encore dans ma tête aujourd’hui. Comme un blues qui déchire la nuit au rythme d’une Gibson, au son d’une voix rauque enveloppée d’alcool et de boucane. Depuis ce temps, la nuit je ne suis jamais seul, il y a toujours un blues qui traîne dans mon Spotify!!!

Je le savais pas mais au mois d’août nous étions déjà rendu au ”CROSSROAD” de notre histoire.

Un matin comme tous les matins, non ce n’était pas un matin comme les autres, il y avait un je-ne-sais-quoi d’inquiétant dans l’air de Lachute!!! Le ciel était sombre comme en deuil! Il mouillait à siaux! Évidemment trop pauvre pour avoir un parapluie, j’allai chercher les trentes sous de Mr. MacPherson tout trempe en lavette comme on dit!

J’ai attendu que la porte s’ouvre jusqu’à la fermeture de la tabagie. La porte de la tabagie ne s’est jamais réouverte devant moi. Mouillé, je suis retourné chez nous avec le spleen de Robert Jonhson dans le coeur. J’étais devenu le blues « My Middle Name Is Misery. »

Sincèrement, à part bébé je n’avais jamais pleuré! Pas que j’étais un dur de dur, c’est juste que j’en avais trop à pleurer pour mon petit corps de garçon de 12 ans. Ce soir-là avec les riffs de guitare de Johnson dans la tête, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Toute les « tabeurnak » de larmes de mon corps!!! Je n’ai jamais revu Mr. MacPherson vivant. Le lendemain on m’a dit que Mr. MacPherson était mort dans la nuit… et sa vieille femme m’a donné ses albums de blues!!!

“I went to the crossroad fell down on my knees”

Chère Mr. MacPherson,

J’ai jamais eu la chance de vous saluer une dernière fois. Aujourd’hui ici sur mon blog, j’ai assez de lecteurs et lectrices pour vous rendre l’hommage que vous méritez. À vrai dire je n’aurais souhaité qu’une chose… que vous soyez mon père!

Dans mon coeur, je suis votre fils spirituel! Je suis persuadé que vous avez une place de choix dans le firmament mais que la nuit venue vous vous sauvez vers les ténèbres, cigarette à la bouche, écouter Robert Johnson jouer pour l’éternité devant le yâble!

Only Blues Tabeurnak!

Et pourtant…

Et pourtant, le mois d’août n’était pas fini et mon blues non plus…

Au milieu août, Stéphanie voulait jouer à la tag BBQ pour la première fois.

  • Stephanie: « Attrape-moi Pat…je veux juste être embrassée par toi! »

À ce jour, du haut de mes 44 ans c’est la plus belle phrase que j’ai jamais entendu! J’ai, à ce moment-là, cesser de respirer. Je n’avais plus d’air qui rentrait dans mes poumons. Le petit Canada avait cessé de tourner. Même l’évolution avait cessé de progresser. J’ai couru ma vie après Stéphanie avec un i, elle sait arrêtée d’un coup sec et m’a dit: « Viens on va aller plus loin! »

Cette phrase toute simple résonne dans les souvenirs de mes beaux jours! Je peux précisément décrire le moment! Je portais un chandail Vuarnet blanc avec un faux logo croche et des jeans achetés au Centraide ou comme dirait ma mère le 113. À l’époque du fameux cinq piasses pour une poche de linge! J’avais dans les pieds mes fameux “snick” bleu, blanc, rouge avec le logo des Expos sur la cheville! J’étais le « nec plus ultra » du petit pauvre de quartier.

Nous nous sommes cachés aux abords de la rivière du Nord de mon enfance. J’ai mis mes mains dans ses cheveux rouge feu… c’est comme si je tenais de la braise. Au son des criquets de nuit, des ouaouarons bien assis sur les nénuphars, nous avons redéfini la beauté et donné un sens à la lune des loups qui brillait juste pour nous. Un moment de pure tendreté… L’instant d’une paix, d’un silence, l’instant d’oublier les mains trop longues de mon père alcoolique et l’instant qu’elle oublie les chums de sa mère qui rentraient chez eux comme dans les portes tournantes du Eaton!

J’ai avec mes mains pris son doux visage… je l’ai approché vers moi… elle a fermé les yeux doucement. J’ai déposé mes lèvres sur ses lèvres. Mon coeur battait au rythme du sien. Cupidon n’avait pu d’affaire là. J’ai doucement chatouillé sa bouche avec ma langue et comme par magie sa langue est venue rejoindre la mienne dans un tourbillon de bonheur! Le temps s’était littéralement arrêté. Puis un petit soupir… j’avais peine à respirer. Elle me regarda droit dans les yeux comme si le moment était solennel. Elle prit ma main droite et alla la cacher sous son chandail directement sur son sein droit.

J’étais à un mouvement de la main de perdre connaissance. Elle souriait de me voir subjugué. J’essaie de parler mais je bégaie, je bafouille.

Elle porte l’un de ses doigts sur ma bouche, signe universel qui veut dire « Tais-toi le cave pis embrasse-moi! » J’ai emmitouflé ma main dans sa petite camisole blanche pour avoir un contact peau à peau avec son sein… elle soupire! Je l’embrasse tendrement et sens le bout de son sein entre mes doigts. J’aurais gardé ma main là pour l’éternité. C’est comme si le temps était sur pause. J’ai embrassé les lèvres et touché les seins de Stéphanie avec un i pendant l’infini d’une soirée…

Puis, les yeux dans l’eau, elle me dit: « Demain je déménage à St-Félicien au Saguenay! »

Depuis ce jour, je déteste les gens Lac St-Jean et préfère les gens du Saguenay.

Le bonheur, c’est la bouche de Stéphanie avec un i qui goûte les bleuets cueillis le matin même au milieu du mois d’août!

Le bonheur, c’est surtout Mr. MacPherson qui a dénoncé mon père avant de mourir car moi jamais je n’aurais eu le courage.

L’été de mes 12 ans goûte les bleuets avec une amertume de blues en fin de bouche.



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