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Françoise Lison-Leroy, Le Temps tarmac par Philippe Leuckx

Publié le 20 janvier 2018 par Angèle Paoli

[JE REFERAI LE VOYAGE]

D ouzième livre de poèmes publié chez Rougerie par l'écrivain hainuyer (à côté d'une quarantaine d'autres édités par Luce Wilquin, L'Arbre à paroles, Esperluète, Tétras Lyre, La Bartavelle, Les Pierres, Cahiers Froissart, Unimuse, etc.) depuis Lieux tressoirs, ce Temps tarmac, constitué de sept sections, mesure combien il est tragique d'être aujourd'hui migrant. Les titres des parties disent assez la situation " barbelée ", le statut " toujours un fugitif " de ces êtres bousculés d'une " rive " à l'autre de la vie.

On sent, dans ces brefs poèmes, la pulsation, l'effroi, la peur, l'inconcevable " course en haleine ", l'attente lente, longue d'un avenir jamais ouvert, clôturé de part en part.

Que reste-t-il à " mâcher " quand tout a été pris ? Quand tout a été tenté en vain ?

Il en a fallu des sentiers, des grilles, des sables à traverser pour en arriver là... et buter de nouveau contre de nouveaux remparts de sauvegarde.

" Un camion vient

un autre

c'est la loi du dimanche

Je n'ai pas de levier

pour déborder la tôle "

" Je n'ai pas froid

pas la migraine

ni droits

ni faim

rien qu'une part du paysage

celle qui m'entre par les yeux "

La langue de Françoise Lison-Leroy, tissée de vers courts, d'épithètes reconnaissables (" bec et ongles / nous creusons la tanière / le charnier tapageur "), serre en versets ou en proses courtes au phrasé coupé court lui aussi, la tension brusque imposée :

" Une épave, deux lagunes, le feu mobile des goélands. Un œil et presque l'autre : la lutte me tient en bruine et en vaillance. Si quelqu'un vient, je tire du cil toute barrière. Si quelqu'un manque, je mendie son éveil. "

Le temps, prisonnier du " tarmac " (quoique ce terme réducteur - selon Le Petit Robert : " Dans un aérodrome, partie réservée à la circulation et au stationnement des avions " - n'embrasse pas toutes les dimensions de traversée, de fugue, d'escarpement franchis par les migrants), boucle le voyage :

" Et je referai le voyage

vers le pays meurtri

Les vagues rouleront à l'envers

et les nuages

auront cessé le guet

Là-bas aussi

la vie bat fort

comme une poche

d'air et d'urgence "

Un livre qui furète en notre conscience et alerte chez nous et ailleurs. Alain Souchon, dès les années 1990, le disait très fort dans C'est déjà ça :

" Je sais bien que rue d'Belleville

rien n'est fait pour moi "

ou

" Soudan, mon Soudan,

pour un air démocratique,

on t'casse les dents ".

D'aucuns ne semblent pas avoir compris la leçon. Françoise Lison-Leroy nous l'assène de ses vers coupants.

Philippe Leuckx
pour Terres de femmes
D.R. Texte Philippe Leuckx

Françoise Lison-Leroy, Le Temps tarmac  par Philippe Leuckx


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