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Roger Caillois | [Je n’ai pas eu le souci de prouver constamment que j’étais poète]

Publié le 05 février 2018 par Angèle Paoli

[JE N'AI PAS EU LE SOUCI DE PROUVER CONSTAMMENT QUE J'ÉTAIS POÈTE] VIII e n'ai pas eu le souci de prouver constamment que j'étais poète. J'ai étudié mon métier avec patience et modestie. Je me suis abstenu des prouesses et des subterfuges. Je n'ai pas forcé les images. Je n'ai jamais essayé de faire croire que j'étais mage ou prophète. IX Je n'ai pas simulé l'enthousiasme, la démence et la possession par les esprits supérieurs et inférieurs. J'ai reconnu sans amertume, quand je les éprouvais, que mes transports étaient tout humains et que des règles humaines devaient les gouverner. X Souvent j'ai travaillé la nuit entière sans qu'à l'aube il ne me soit resté un seul mot. D'autres fois, en temps de loisir, de paresse et de distraction, mes plus beaux vers sont nés sans mon aveu. Pourtant, je n'ai pas maudit le travail et la peine. Je me suis souvenu qu'il était pour l'eau, entre la pluie et la source, un pénible et douloureux cheminement. Je ne me suis pas présenté comme la source, produisant par miracle une eau pure, mais comme la terre et l'argile. Je filtrais comme l'une, je rassemblais comme l'autre. Les vers jaillissaient à la fin. XIII Je ne parle qu'en mon nom, mais comme si chacun, dans mes vers, s'exprimait autant qu'à moi. Je m'adresse à un interlocuteur invisible, mais de façon que chacun peut avoir l'illusion que mes vers s'adressent à lui seul, du moins à lui d'abord. Ils sont confidences, mais impersonnelles, sans origine ni destinataire, messages d'une ombre cachée à des ombres anonymes. XVIII Je n'ai pas prétendu exprimer l'inexprimable. J'ai seulement tenté de communiquer par mes vers ce qui ne se laisse pas si bien transmettre ni si efficacement dans un autre langage. XXII À toute joie j'ai donné sa gloire, à toute vérité son évidence, à toute tristesse sa fécondité. XXIII Roger Caillois,
Art poétique ou confession négative [in Les Impostures de la poésie, éditions Gallimard, Collection Métamorphoses, 1947 ; rééd. 1962], Pré#carré 97/Hervé Bougel, octobre 2017, 20e anniversaire, s.f.
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J'ai choisi cette voie librement. Je ne me plaindrai pas d'avoir échoué : une autre réussite ne m'eût pas satisfait.


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