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Pas de Laguiole en Pologne

Publié le 26 février 2018 par Les Alluvions.com
Le mardi 30 janvier je m'étais rendu à pied à la gare, j'avais un peu d'avance et j'attendais donc dans le hall mon train pour Paris lorsque je m'aperçus en ouvrant la poche frontale de mon sac à dos que j'avais laissé à l'intérieur mon couteau Laguiole. Je l'avais acheté il y a bien des années, lors d'un petit séjour dans l'Aubrac, au village même de Laguiole, au magasin de la maison Glandières dont la marque distinctive est une tête de vache aux longues cornes caractéristiques de la race d'Aubrac. Je ne m'en sers pas beaucoup mais j'y tiens énormément, or, il était évident qu'il ne passerait en aucun cas le contrôle de sécurité de l'aéroport. Problème : je n'avais ni le temps de revenir à la maison, ni celui d'appeler quelqu'un pour qu'il vienne le récupérer. Je résolus alors d'aller à l'accueil de la SNCF et j'expliquai mon souci au jeune guichetier en costume et casquette de l'entreprise - tout à fait l'allure d'un chef de gare bien que je doute que ce soit vraiment là sa fonction -, pas du tout certain qu'il veuille bien se charger de conserver le couteau le temps de mon voyage. Il eut l'air un peu surpris de ma demande mais accepta volontiers, mit la chose dans une enveloppe kraft et il fut convenu que je repasserai à mon retour début mars.
Pas de Laguiole en PologneEn fait, j'oubliai à peu près complètement de revenir le chercher, et c'est seulement samedi dernier, alors que je reconduisais à la gare de bon matin mes quatre stagiaires espagnol(e)s, Sara, Maria, Paola et Alberto, de retour à Grenade après quatre semaines à Châteauroux (ils avaient été enchantés par les gens qu'ils avaient trouvé "très gentils" mais avouaient que le froid castelroussin avait été la chose la plus difficile à affronter), oui c'est seulement ce matin-là, juste après avoir les avoir aidés à hisser leurs grosses valises dans les trois voitures différentes où ils avaient réservé leurs places en ligne, juste après les avoir salués une dernière fois, que je m'avisai que le chef de gare (ou son représentant) qui donnait le coup de sifflet du départ n'était autre que le cheminot à qui j'avais laissé mon Laguiole en garde. Le convoi parti, je le rappelai à mon bon souvenir sur le quai même. Un mois avait passé mais il se souvenait parfaitement, semble-t-il, et il me donna sans plus de formalité l'enveloppe où le couteau avait attendu mon retour. Je le remerciai avec le plus de chaleur qu'il m'était possible d'exprimer en ce début de journée glacial.
Voilà, c'est aussi simple que cela, et cette petite histoire sans drame et sans moralité apparente ne méritait peut-être pas qu'on y consacrât autant d'attention, mais quelque chose en elle me laissait rêveur : par le biais de ce couteau se croisaient des espaces géographiques, des paysages, des temps, qui, un instant avant, n'avaient rien en commun : l'Aubrac et ses plateaux d'immense horizon arpentés autrefois avec les enfants ; Grenade avec l'Alhambra et l'Albaicín où j'avais erré avec tant de ferveur dans un autre février inoubliable ; et Varsovie bien sûr où la lame d'acier ne pouvait être reçue. Et tout cela consonait à partir d'un même lieu - une gare -, en un même moment du jour - le matin. Triple unité, chose, lieu, temps, couteau, gare, matin, du bleu cachet à la rougeur du palissandre exalté dans les plis du kraft.

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