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Deux expositions au Jeu de Paume

Publié le 10 mars 2018 par Malm @3615malm

Susan Meiselas et Raoul Hausmann, jusqu’au 20 mai

Photographe née en 1948 à Baltimore, États-Unis, Susan Meiselas est membre de l’agence Magnum depuis 1976. Le Jeu de Paume lui consacre une exposition intitulée Médiations.

L’angle de réflexion initial porte sur la différence fondamentale de traitement accordée à la photographie selon l’appréhension qui en est faite par celui.elle qui la prend (ou par son éventuel sujet) puis par les médias, les magazines, ensuite, voire les collectionneurs, les musées. Une bonne partie de l’exposition met en scène le travail de Meiselas de telle sorte que les questions restent toujours en suspens, sous-jacente, dans l’esprit de celui qui regarde, lit, explore – à savoir : qui prend la photo, qui est le sujet, où a été prise cette photo ? Dans quelles circonstances ? A-t-elle été publiée dans un magazine, donc possiblement mise en page, modifiée ? Ou bien est-elle exposée dans le riche salon d’un collectionneur, dans les « couloirs » d’un musée ? L’importance de la contextualisation dans l’appréhension des images est un angle très présent, dans Médiations. Passionnant. Et tellement nécessaire, actuellement. Cet aspect-là de l’appréhension de l' »acte de photographier » est particulièrement perceptible dans la partie de l’exposition qui porte sur la présence de la photographe dans l’Amérique centrale en guerre des années 80.

Différents lieux, époques, différentes salles : la première série de photographies porte sur ses débuts de l’artiste, peu après que celle-ci ait débarqué à Little Italy (New-York). Ladite série est dédiée à l’observation d’un groupe de jeunes filles pour le moins spontanées et démonstratives, sur le point de devenir des femmes. D’autres photographies – présentées sous un angle étonnant : à la fois documentaire et très arty – racontent la vie des colocataires de l’époque de Meiselas, témoignages manuscrits à l’appui ; ici, une certaine solitude, plutôt inattendue et inhérente à cette vie en collectivité dans le New York des artistes, des étudiants dans les années 70 est révélée par les images.

Deux expositions au Jeu de Paume

Passons ensuite dans la salle « dite du Kurdistan ». Vous avez intérêt à avoir du temps devant vous : vous voilà emporté dans une démarche, un travail, un univers bouleversant, captivant, douloureux, fascinant. Le spectateur – il m’a semblé devenir cela : une spectatrice, d’un coup – est tout simplement projeté dans l’Histoire, happé par la manière dont l’artiste travaille à la documentation d’une nation toute entière durant des années. On est ici dans quelque chose de l’ordre de l’artistique et c’est en même temps tellement scientifique, documenté, exact. Nous sommes en 1990, après le début de la première guerre en Irak, juste après (aussi) les premiers nettoyage ethniques de Saddam Hussein sur le peuple Kurde. Le travail de la photographe débute à ce moment-là, dans cette partie du monde. Et il est monumental. Il tend à aider (tant bien que mal, mais de manière juste, sincère, profonde), à montrer, alarmer sur tout un peuple renié, écrasé, dépourvu de terres, exilé depuis des dizaines, des centaines d’années.

Deux expositions au Jeu de Paume

La photographe a aussi, semble-t-il, beaucoup regardé les femmes. Leurs corps frappés (très peu exposés, si ce n’est pas totalement justifié), leurs identités – encore une fois – niées. Et puis la fuite. La perte. De tout. Le travail ici effectué par Susan Meiselas tend à montrer, à exhiber des détails visibles de la solitude de ces femmes, celles qui vivent dans des foyers d’accueils, d’urgences (en l’occurence, ici, en Grande-Bretagne), du fait de violences conjugales, familiales subies ou de mariages forcés. Des femmes qui ont fui. Qui n’ont plus rien. Les objets pour témoigner de l’absence des corps…

Enfin,  viennent les « travailleuses du sexe », le suivi d’une troupe de strip-tease (dans les années 70, de nouveau), la parole – orale, visuelle – de maitresses travaillant dans un donjon SM témoignent d’une volonté de Meiselas de comprendre la question de l’asservissement consenti ou celle du libre arbitre chez les femmes qui se prostituent, ou dont le métier est de son montrer nues… ici, le corps des femmes est visible, exposé. Il est même mis en scène, parfois, par la photographe elle-même. À juste titre. Avec une singularité dépourvue de voyeurisme. Mais avec de la beauté. Et énormément d’empathie. La question de la domination est très présente, ici.

Au rez-de-chaussée du Jeu de Paume, vous pourrez voir l’exposition qui porte sur le travail de l’autrichien Dada Raoul Hausmann (1886-1971) ; ses oeuvres – pour la plupart des clichés… mais pas uniquement – sont remarquables de beauté, organiques – la plage, les corps blonds, les dunes, l’importance de la danse dans la vie du photographe, les découpages-collages. L’exposition rappelle avec force l’aspect métaphysique propre à l’existence-même de l’individu, celle de son univers intérieur révélé, décortiqué par le mouvement Dada. L’immensité que procure la possibilité de la création est posée comme un postulat de départ. Le Berlin fascinant de l’entre deux guerres est juste là, derrière : l’Histoire, toujours, en filigrane.

Deux expositions au Jeu de Paume

Allez au Jeu de Paume.


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