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Le journal du professeur Blequin (102)

Publié le 20 juin 2018 par Legraoully @LeGraoullyOff

Mardi 19 juin

9h30 : Je ne pouvais pas y couper : en me levant tardivement un mardi matin, je m’exposais naturellement à devoir supporter, dans le bus, la compagnie des gosses du collège qui vont à la piscine. Heureusement, je connais leur prof de sport, qui fut aussi la mienne (la pauvre !) quand j’étais collégien. On taille une bavette et elle en arrive à me parler de ses enfants, brillants diplômés expatriés à Paris qui travaillent de longues heures pour des salaires dérisoires au vu du coût de la vie à la capitale… Le cas de ces jeunes gens n’est pas isolé, loin de là ! Voilà la situation actuelle des jeunes : qu’ils travaillent ou pas, ils sont traités comme les derniers des dernier. On ne manque pas de déblatérer sur les jeunes qui sont réticents à s’engager sur le marché du travail et à s’insérer dans les circuits de production, mais ceux qui ont la « chance » d’avoir un emploi sont surexploités et traités comme des fusibles corvéables à merci : bref, ils perdent leur vie à la gagner. Je râle souvent mais, quand j’entends ça, je me dis que j’ai presque de la chance : oui, j’ai de la chance d’avoir un certain talent et d’avoir d’autres perspectives dans la vie que celle de me tuer à la tâche pour un patron rapace ! Mais je n’oublie pas que la plupart des gens de ma génération n’ont même pas ça…

Le journal du professeur Blequin (102)

10h30 : Plus ça va et plus je m’aperçois que, quand les gens apprennent que j’ai étudié la philosophie, ils s’attendent à ce que je vienne corroborer par des arguments « rationnels », ou du moins qui ont la forme du raisonnement, leurs idées préconçues ; ils acceptent généralement très mal que j’ébranle leurs certitudes. Ainsi, à une personne qui affirmait que les problèmes géopolitiques actuels la dépassait et lui paraissait compliqués, j’ai eu le malheur d’opposer la phrase de Camus : « Oui, tout est simple. Ce sont les hommes qui compliquent les choses. Qu’on ne nous raconte pas d’histoires. » Mon interlocutrice n’avait pas l’air disposée à accepter l’idée que « tout est simple » et refusait d’admettre que le langage, malgré l’avantage évolutif incontestable qu’il a procuré à l’espèce humaine et malgré l’accès à l’art et à la littérature qu’il a ouvert pour nous, pouvait servir aussi bien à voiler qu’à révéler et que le premier usage était même plus fréquent que le second ; la plupart voire la totalité des querelles géopolitiques passées, présentes et à venir, malgré les prétextes idéologiques dont se parent leurs différents acteurs, n’ont que des motivations basses : des querelles d’ego parfois, des histoires de gros sous presque toujours… En fait, les puissants s’empressent toujours de donner un vernis de complexité à leurs affaires pour que les dominés se sentent incapables de les critiquer : cette tactique vieille comme le monde est toujours aussi efficace, mon interlocutrice semblait même effrayée par l’idée même de devoir admettre la simplicité des choses qui l’aurait probablement acculée à admettre que les « grands de ce monde » sont des hommes comme les autres… A sa décharge, il est vrai qu’il n’y a rien de rassurant dans le fait de savoir que des hommes et des femmes qui font la loi, commandent aux forces de l’ordre et peuvent déclarer la guerre, sont aussi faillibles que le dernier de leurs administrés…

Le journal du professeur Blequin (102)
Albert Camus par votre serviteur

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