Indignez-vous ! Mais pas pour n’importe quoi…

« Tu pourrais prendre ça avec philosophie ! » C’est ce que j’entends trente-six fois par jour entre deux questions sur Michel Onfray (dont je n’ai rien à foutre, soit dit en passant) : je ne pensais pas qu’en revendiquant mon titre de docteur en philosophie antique, je me trouverais dans l’obligation de devenir un pur esprit sans sexe et sans émotions !

Beaucoup de gens, qui ont une conception galvaudée de la philosophie, s’étonnent de me voir m’emporter face aux imprévus de la vie quotidienne : sous prétexte que j’ai étudié la philosophie, je devrais être forcément un « grand calme ». Je ne le suis pas, c’est vrai. Et c’est tout juste si on ne prend pas ça comme prétexte pour me dire que mes études ne m’ont servi à rien. Et pourtant, quand je lis certains articles, quand j’observe certains comportements, je me dis que je dois finalement prendre les choses avec davantage de « philosophie » que bon nombre de mes semblables qui se mettent dans tous leurs états pour des histoires qui ne les concernent même pas directement !

Par exemple, j’ai lu récemment la déclaration d’un gazier de chez moi qui rouspète parce qu’il aurait attrapé une otite en allant se baigner sur une plage « dégueulasse »: je puis affirmer que je me suis baqué plus souvent qu’à mon tour sur cette même plage et il ne m’est jamais rien arrivé ; ce n’est pas un crime d’avoir la santé fragile, mais ce n’est pas une raison pour faire porter le chapeau aux autorités locales.

Il y en a d’autres qui sont prêts à se suicider si l’équipe de France perd la coupe du monde : pour ma part, j’ai compris depuis longtemps que ma vie ne dépend pas des performances des footballeurs français – à moins bien sûr de me trouver à proximité d’une meute de supporters un soir de défaite, situation que j’évite soigneusement.

Il y a les rombières débiles qui croient habiter le Bronx dès qu’un fait divers sordide s’est déroulé dans leur quartier : au lieu de se faire de la bile, elles feraient peut-être mieux, comme moi, de se féliciter de ne pas avoir été au mauvais endroit au mauvais moment ; quand on sait que chaque jour, des milliers de personnes, aux quatre coins du monde, meurent prématurément dans des circonstances tragiques, on ne peut que se réjouir de passer entre les mailles du filet.

Quant à ceux qui s’indignent que Macron se paie une piscine aux frais de l’Etat, ils me font doucement rigoler : ils n’ont pas encore compris que tout pouvoir est maudit. De surcroît, ils préféreraient peut-être qu’il utilise l’argent public pour construire une nouvelle bombe atomique, comme le général De Gaulle ?

Se focaliser sur les initiatives dispendieuses du président, ce n’est que s’attaquer à la partie émergée du problème que constitue sa politique toute entière. Ainsi, il y a de quoi être scandalisé par le vote des députés qui retire les associations religieuses de la liste des lobbies et suggère que les religions défendent l’intérêt général ! C’est une semaine noire pour la laïcité : affirmer que les religions défendent l’intérêt général, c’est comme prétendre que la maffia lutte pour la justice, que NRJ 12 contribue à l’éducation des jeunes ou que l’armée sauve des vies ! Remarquez, cette dernière connerie, on la dit aussi et on fait même un bond de vingt en arrière avec le retour du service national…

Voilà donc la France de Macron : les jeunes livres pieds et poings liés à la religion et à l’armée ! On a bien fait de ne pas élire Marine Le Pen, vu qu’on n’a pas besoin d’elle pour appliquer ses idées ! En fin de compte, mes études de philosophie m’auront servi au moins à ça : à identifier ce qui, dans notre société, mérite l’indignation.