Magazine Humeur

La torture du lait de tortue

Publié le 02 juillet 2008 par Toli

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La piqûre

Ronald Reagan entamait son premier mandat présidentiel aux States, à l’instar de François Mitterrand en France quelques mois plus tard. Les tentatives d’assassinat se multipliaient un peu partout : à Washington, à Rome. France Telecom lançait le Minitel. J’avais 9 ans.

Le mercredi vers 11 heures, je prenais le train pour aller à Paris. Seul sur le quai de la gare, j’attendais l’omnibus de banlieue avec sa coque métallique et ses banquettes en skaï orange. Vous savez ces fameuses banquettes qui, lorsque le soleil donne, brûlent quand on s’assied, et collent aux cuisses après. Cinquante minutes plus tard, j’arrivais dans l’immense Gare du Nord. Je ne parlais à personne. Je filais prendre le 42 qui descendait la rue La Fayette, sans couloir de bus à l’époque. Je vérifiais chaque arrêt. Je lisais les affiches, les promotions. J’adorais cette rue. Tellement mieux que la rue des Beaux-Lieux. Le bus finissait toujours par me déposer juste devant le bureau de ma mère. La Cordialité Bâloise, arrêt Le Peletier. Les vitres teintées des portes automatiques s’ouvraient. L’hôtesse d’accueil était déjà en ligne avec ma mère pour la prévenir de mon arrivée.

Nous déjeunions rapidement dans un petit troquet. La serveuse me connaissait, à force. “Tiens, c’est mercredi, y’a le fils de Mme Toli.” Je choisissais un poulet frites avec de la Béarnaise ou un steack frites baignant dans la sauce au poivre. La serveuse avait pris l’habitude de m’apporter mon dessert avant que je ne passe commande : une mousse au chocolat.

Dès le goût du chocolat dans ma bouche, je savais que l’heure approchait… Et ça me gâchait toujours un peu la fin du repas. Mon coeur commençait de protester sur le chemin. Dans la salle d’attente, les battements de mon coeur devenaient  insupportables. Nous avions rendez-vous avec le Docteur La Terreur. Son bureau sentait la cire, la poussière, les médicaments. J’avais peur. Peur du glacial Docteur La Terreur et de ses piqûres. Il me demandait de rester debout. J’enlevais mon slip. Je ne l’entendais pas arriver avec son injection de lait de tortue. Et d’un seul coup, il enfonçait l’aiguille. Aïe ! J’avançais de quelques centimètres, par réflexe. Je savais que je ne devais pas. C’était plus fort que moi, ça me faisait mal. Quelle idée de me piquer debout ! Souvent la piqûre se retirait, ou tombait, quand il ne me maintenait pas fermement. De fait, j’avais souvent droit à ma double piqûre. La peau des fesses percée deux fois pour une seule dose.

Le calme et la lenteur. Après le Docteur La Terreur, tout allait très vite. Ma mère me regardait monter dans le 42. Elle retournait travailler. Et je rentrais regarder Dorothée à la télé.

Comment ce souvenir est-il revenu à ma mémoire ? Pourquoi t’en ai-je parlé ce matin-là ? Sur un trottoir de Belleville, vers 9h30 tout début 2008. Je crois bien ne jamais avoir raconté cette histoire, sauf peut-être à Sophie. Un tout petit rien. Et pourtant…

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