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La brume tarde à se lever

Publié le 09 octobre 2018 par Claudel
La brume tarde à se lever
« Comme tout auteur, je ne lis pas en toute innocence. Tel un prédateur, je cherche chez les autres ce qui me servira. Non pour copier leurs prouesses. Ce serait grotesque. De toute manière, l’habitude très tôt adoptée de ne fréquenter avec assiduité que les écrivains qui me nourrissent me plongerait plutôt dans l’admiration. »
Gilles Archambault, La pratique du roman
« Il semble que beaucoup de critiques sont bien trop occupés à dire aux écrivains et aux écrivaines — et surtout aux écrivaines — ce qu’ils et elles devraient faire, pour pouvoir s’intéresser à ce qu’ils et elles font vraiment. »
Louky Bersianik, La théorie , un dimanche
Je voudrais bien.
Je n’y parviens plus.
J’ai déjà pu philosopher, pérorer, cogiter, théoriser, disserter. Pas seulement le dimanche. Tout comme je jonglais avec les formules de trigonométrie, de géométrie, de chimie. Ou je zigzaguais et m’empêtrais dans les règles de grammaire.
Ai-je vraiment déjà eu une opinion sur tout et sur rien?
Mon cerveau racornit, se désintellectualise. Je n’ai plus envie d’argumenter. Tout au plus nuancer.
À 18 ans, je lisais des essais, de la théorie. En 1976, j'avais les larmes aux yeux et la joie au cœur devant l’euphorie, la fierté, l’espoir d’avoir un pays.
Pourtant aujourd’hui, je suis beaucoup plus moi-même que je ne l’étais à 18 ans.
Aujourd’hui, je suis plus corps qu’esprit.
La tête panique, décroche, se recroqueville au moindre malaise physique, à la moindre blessure. Je refuse de penser quand toute mon énergie se concentre sur la guérison ou le seul bien-être du corps.
La peur a un nouveau visage. Ce n’est plus celle d’être violée, non aimée, non désirée, d’échouer à un examen ou pire, ma vie. La peur d’aujourd’hui, c’est celle de la maladie, de la dépendance, des appels téléphoniques qui annoncent les mauvaises nouvelles ou les rendez-vous médicaux. La peur des autres, la peur de la différence, la peur d’être dérangée. La peur du bruit des choses et des idées.
Mais si je lis, c’est que mon corps et le monde entier me laissent tranquille.
Quand je lis, je n’ai pas d’âge.
Je ne suis qu’esprit qui pense, qui pense la vie, qui théorise, qui intellectualise. Je donne raison à tout le monde. Je laisse chacun libre de ses pensées, ses théories.
Quand j’écris, je n’ai pas d’âge, pas de corps qui réclame toute la place.
Je suis devant un feu, un jour d’automne, comme Monique Durand était devant le fleuve quand elle a écrit. « J’écrivais d’après nature, comme j’aurais peint. »
« Chacun a quelque part dans le monde son lieu de prédilection, d’épousailles avec lui-même, de confidences faites au vent et à quelques disparus chers, de rencontre avec les multitudes qui l’ont précédé. Ce lieu-là, le mien, se trouve à Gaspé. »
Monique Durand, Saint-Laurent, mon amour  
Les épousailles avec moi-même n’ont pas de lieu précis. Elles ont lieu partout où il y a le silence un arbre ou une vague, un crayon et un cahier.
Elles ont lieu aujourd’hui, ici maintenant, dans un paysage brumeux, devant un feu.Même si certains jours, la brume tarde à se lever.  

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