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Brexit light

Publié le 25 novembre 2018 par Legraoully @LeGraoullyOff

Brexit lightApparemment, Londres va devoir se contenter d’un Brexit a minima ; cette nouvelle risque de renforcer le sentiment anti-européen en Angleterre et ailleurs. Mas ce qui est sûr, c’est que ceux qui espéraient que le Royaume-Uni allait pouvoir couper définitivement les ponts avec l’Union européenne et redevenir la grande puissance impériale de jadis en sont pour leurs frais.

Irrémédiablement ? Je réponds « oui » pour une raison simple : on ne peut JAMAIS revenir complètement en arrière. Quand bien même Theresa May aurait obtenu un accord pour un Brexit version « hard », elle n’aurait pu annuler le fait que son pays a bel et bien fait partie de l’union pendant plus d’une quarantaine d’années, ce qui laisse inévitablement des traces, qu’on le veuille ou non. Ceux qui s’imaginent le contraire feraient bien de relire Jankélévitch :

« Il n’est pas de désastre humain qui ne puisse être humainement réparé. Tout ce qui a été fait peut être défait. Mais le fait-d’avoir-fait, lui, ne peut être défait. Le fait-d’avoir-fait est rigoureusement indéfaisable ! (…) La tache de sang sur la main de Macbeth peut être effacée : ineffaçable est la tache invisible que la commission du crime laisse dans une âme criminelle. »

La mort, p. 300

Un point de vue corroboré par Albert Camus :

« C’est un fait que nous souffrons de nihilisme. Mais le plus admirable, ce sont les prêches sur les « retours ». (…) Pour accorder à ces baumes une ombre d’efficacité, il faudrait faire comme si nos connaissances n’existaient plus – comme si nous n’avions rien appris – feindre d’effacer ce qui est ineffaçable. » 

Carnets II (janvier 1942 – mars 1951), p. 240.

Pour résumer, les partisans d’un Brexit pur et dur se seraient inévitablement cassés les dents sur le caractère ineffaçable de l’avoir-été : quand bien même on pourrait revenir à une situation apparemment semblable à ce qu’on a connu jadis, on ne pourra pour autant jamais faire comme si rien ne s’était passé. Le nazisme a été vaincu en 1945, mais on ne peut pas faire comme s’il n’avait jamais existé ; après mai 68 a eu lieu le « retour à la normale », mais le pouvoir n’a pas pu faire comme si rien ne s’était produit ; de même, les Britanniques ne pourront jamais faire comme si leur pays n’avait jamais collaboré avec les autres États européens ni comme si des milliers de personnes des deux rives de la Manche n’avaient pas déjà pris l’habitude de la traverser au quotidien.

De façon générale, les revendications nationalistes connaissent aujourd’hui une large audience, sur laquelle surfent des politiciens généralement mal intentionnés, mais ces velléités ne pourront pas annuler le fait que la notion même de frontière n’a plus du tout la même signification pour une génération qui a grandi avec des dispositifs internationaux tels qu’Erasmus et qui est familiarisée depuis la prime enfance à des moyens de communication qui abolissent littéralement les distances. On a le droit de le déplorer, comme on a le droit de s’en féliciter, mais la seule chose qu’on ne peut pas faire, c’est l’ignorer : les nationalismes contemporains sont le dernier soubresaut d’une conception statique de la frontière qui a déjà vécu. Et il serait temps de l’admettre si on ne veut pas laisser ces nationalismes commettre des catastrophes…


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