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Ô gêne ! Ô désespoir !

Publié le 14 janvier 2019 par Hesperide @IsaBauthian

Râlerie initialement publiée dans le Lanfeust Mag d’avril 2018.

Ça ne se remarque pas trop, parce que je ne suis pas avare de « merde », « couille » et « bordel de raclure de brosse à chiottes », que j’écris des histoires de plans à trois et de tripes fumantes, et que j’en ai vu des moisies et des pas finies de décomposer durant mes études de bio, mais je suis une petite nature. Vous l’aurez compris, je ne parle pas de violence ou de crasse. Je parle de ridicule. Et tout particulièrement celui des autres, car quand c’est moi qui morfle, au moins j’ai une chance de me rattraper aux branches (et de m’enfoncer, mais JE SUIS AUX COMMANDES AU MOMENT DU CRASH !). Malgré ma propension à l’ironie piquante et l’insulte voilée (mais bienveillante, sisi), je ne peux pas observer quelqu’un se taper la honte sans être saisie de l’envie de lui faire de grands signes en poussant des cris pour tenter d’empêcher la catastrophe ou, si cette dernière est inévitable, de m’enfuir en courant, en me bouchant les oreilles et en fermant les yeux, tant pis pour les obstacles, je ne peux pas voir ça, pitié, Dieu tout puissant, fais-moi tomber dans le coma.
Je me souviens. J’étais une enfant innocente lorsqu’à la télévision, Francis Lalane a fondu en larmes, se lamentant sur le sujet d’ailleurs pertinent de la liberté de création, suppliant le cosmos de libérer les artistes. Enfin je crois que c’était ça, on me l’a raconté, moi j’ai quitté la pièce et, trente ans plus tard, je suis toujours incapable de regarder cette séquence en entier. Le problème, c’est que ce que je considère comme mortifiant ne correspond pas forcément  à la définition communément admise. Je me suis une fois presque étalée dans le métro, avant de ponctuer mon rattrapage d’un « MERCI, MESSIEURS-DAMES, SOUS VOS APPLAUDISSEMENTS ! », un gars a ouvert la porte de toilettes publiques que j’avais mal fermée alors que j’étais en train de me reculotter, et c’est moi qui ai dû le rassurer (« Ça ira, mec, c’est ma faute, et ya pas mort d’homme, je suis sure que tu avais déjà vu des culs »)… Non, ce qui me gêne, que dis-je, ce qui me traumatise, c’est ce que les Anglo-saxons appellent le « cringy ». À savoir, la situation super malaisante, souvent initiée par quelqu’un qui ne se rend pas compte qu’il passe pour un abruti pour une raison simple : il essaie de se montrer intelligent.

Le mec qui explique ses blagues, par exemple. Horreur ! (Malheur ! C’est la salsa du démon !) Déjà, évidemment, c’est le meilleur moyen de planter une vanne, mais la question n’est même pas là. La question, c’est que tu sens la personne qui désire se mettre en avant mais n’a pas assez confiance en elle pour y aller franco et finit par se vautrer, emportée par son élan. Et encore, dans cet exemple, y’ a un côté mignon. On est rarement dans le péteux, mais plus dans l’introverti qui a essayé de se tirer de sa grotte (j’empathise, les gars). Non, le pire, le summum du cringy, à tel point qu’il me fait écrire « cringy » alors que vous savez à quel point les anglicismes me sortent facilement par les yeux, c’est celui qui ajoute, à la fin de sa blagounette : « Je plaisante. »
MAIS ASSUME TES PIQUES OU FERME TA GUEULE, MEC !
C’est quoi, ces manières ? Cette façon de se foutre de quelqu’un, et de se dédouaner sans même reprendre son souffle pour ne pas passer pour un salopard ? Mais si t’as besoin de préciser que c’était une blague, c’est peut-être que tu ES, un salopard, oh ! Que tu avais juste envie d’humilier la personne en face, et que non seulement tu n’as pas les ovaires d’aller au bout de ta perversité, mais tu as le culot de priver ta victime d’une répartie. « Non mais pourquoi tu te vexes que je t’ai traitée de grosse pute à matelot avec ta jupe au-dessus du genou ? J’ai DIT que c’était une blague ! Maintenant, RIGOLE, ou tu seras en plus une coincée du fion ! » (Cherchez pas).

Une autre espèce de super-gênants hautains, sont les gen « siiii différents ». (comprendre : j’aime personne/je ne me sens bien nulle part, mais ça ne peut être QUE parce que je ne suis pas un mouton, MOI). Scoop : oui, vous êtes différents. COMME TOUT LE MONDE ! CHACUN est unique, le plus fade des passe-murailles a une personnalité, les gens qui embrassent la société sans se sentir en décalage, ça n’existe pas, et les plus rebelles le portent rarement sur la gueule. Oh, je vous accorde que certains individus jouent la plénitude mieux que leurs camarades, et qu’il y a des cyniques pour bien profiter du système, mais les vrais clairvoyants et les vrais insoumis, ils ne bavent pas des poèmes sur leur nombril, ils agissent. Et les vrais marginaux, ils ne se ridiculisent pas en prétendant que leur mal-être fait d’eux des êtres éveillés. Ils se battent pour affronter l’existence.
Comme. Tout. Le. Monde.

Un échelon plus haut dans le pénible, nous trouvons les « troooop dingues ». Les « Ah non mais j’suis une folle, moi ! » répétés ad nauseam par des humains de plus de 17 piges (moins, on vous autorise, mais faites gaffe quand même). Ma première rencontre avec ces conformistes de la rébellion, c’était les fumeurs du collège, et j’ai constaté avec effroi que, je vous le jure, certains ADULTES perpétuent cette provoc de la gêne. Point de jugement sur ce que vous faites de votre santé, les amis, mon corps mon choix, tout ça, mais de là à se la raconter de ne pas avoir résisté à la pression sociale et à regarder de haut les personnes qu’on peut embrasser sans avoir l’impression de rouler une pelle à un chacal crevé, ya un truc qui m’échappe, parce qu’autant une petite clope tranquillou, c’est votre droit le plus élémentaire, autant en tirant sur votre sèche le menton levé avant de recracher la fumée avec une duckface, vous ne passez pas pour la réincarnation de Cary Grant mais pour un gourdiflot qui taille une pipe à un papelard. On retrouve cet état d’esprit délicieusement (non) juvénile chez certains adeptes des sports extrêmes, qui exécutent en haut des immeubles des figures qui seraient tout aussi sensationnelles au sol, ou leur version du pauvre : les pas sportifs qui se contentent de traverser les voies des trains ou d’emmerder des animaux pleins de crocs ou de sabots en rigolant de la mine effarée des gens rationnels (pardon : des moutons). Mais… les gars… faut que quelqu’un vous le dise : vous n’êtes pas des rebelles. Vous ne bouleversez rien. Il n’y a que vous que vous mettez en danger. Et si c’est la liberté que vous pensez incarner, croyez-moi : à peu près toutes les stratégies alternatives pour titiller le bourgeois sont plus profitables que de s’autodétruire alors qu’on n’est déjà pas bien fini.

Ô gêne ! Ô désespoir !

Voilà. Voilà donc le type d’individus qui me font trembler. Et c’est tout à fait crispant, parce que c’est ce qu’ils souhaitent. Peu importe la nature de votre émotion, ces gens ne verront que celle qu’ils ont espéré engendrer. Que vous tentiez de les comprendre, leur expliquiez poliment votre gêne, haussiez les sourcils, railliez, râliez, la moindre réaction est reçue comme preuve de l’efficacité, pire, de la légitimité de leur dissidence imaginaire. Autant se taire, vous dites-vous alors. Pauvre naïfs ! Ils se convaincront que leur audace a conquis le dernier mot !

Non. La chose est triste, et douloureuse pour mon ego, mais je crois que la seule bonne solution, c’est de parvenir à réellement s’en foutre.

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L’article Ô gêne ! Ô désespoir ! est apparu en premier sur Isabelle Bauthian.


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