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Ève de Laudec | Escroqueviller| Effacer | Quitter

Publié le 14 février 2019 par Angèle Paoli

Escroqueviller

L e jour où il arrêta d'écrire, il s' escroquevilla à l'intérieur de sa peau. Elle était si fine et si craquelée qu'on devinait en filigrane les boursouflures de sang caillé. Sans flux, tout s'éteignit.

Et la nécrose du silence remplaça ce qui n'avait été qu'une vanité égotique.

Il n'exista plus, ni feuille ni ondes, ni papier ciseaux caillou. Avait-il seulement existé ? Personne ne prêta attention à son inexistence.

[...]

Effacer

J e n'effacerai rien.

Aucun des pas menés par-dessus les murailles, ni les ventres collés à la pierre qui suinte l'ombre des églises ni le bruit des ronds dans l'eau.

Je n'effacerai pas le visage des ogres ni les talons chargés de la boue collante des grandes faims.

Je garde au fond des mots meurtris l'accent aigu, l'essoufflement des possibles, la lumière indicible des trottoirs quand chavire l'automne et le vent.

Et le vent, suspendu à ceux qui ne savent pas s'enfuir et cernent au bleu l'enfance.

[...]

Quitter

E lle me quitte. Elle me quitte si souvent que je n'y prends plus garde, alors je m'assoie sur le rebord de la fenêtre et je la regarde ou c'est elle qui s'assoit et me regarde. Je ne sais pas bien laquelle quitte l'autre.

Cela ne fait pas mal, juste une séparation naturelle. Elle m'observe en silence, ne ressent rien, aucune émotion. Elle n'intervient pas, regarde sans entrer dans le scénario de ma vie. Quelque chose se déroule mais sans elle. Elle observe moi.

Moi, c'est elle, dans l'autre ailleurs.

Ève de Laudec, L'Ingratitude des oiseaux à becs, Jacques Flament Alternative éditoriale, 2019, pp. 25, 37, 61. Préface de Pierre Perrin.

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