Magazine Journal intime

Plus plus plus, mieux mieux mieux

Publié le 12 juillet 2008 par Ali Devine

Premier juillet. Au CDI. Petite remise des prix.

Catherine Loiseau, prof d’arts plastiques -Et pour finir, la gagnante de notre concours est… Samira ! (Applaudissements) Nous te félicitons, Samira, pour ton travail, qui est remarquable sur le fond comme sur la forme. Tu as donc gagné ces deux livres et nous espérons qu’ils te plairont. Et pour tous les autres, le moment est venu de s’empiffrer de chips et de fraises tagadas !

Les élèves. –Ouaaaais !

Moi, en fendant la ruée. – Catherine, il faut absolument que tu viennes en salle des profs.

Mme Loiseau. –Qu’est-ce qui se passe ?

Moi. –Ils ont affiché la composition des classes de cinquième pour l’an prochain et c’est dramatique.

Mme Loiseau. –Hein ?

Moi. –Ben oui, notre cinquième option Histoire de l’art s’est bien fait saigner. Tu me diras que c’est un peu le cas tous les ans, mais là ! On nous enlève Ganeshkumaar, Samantha et Fatoumata, par contre on nous laisse tous les emmerdeurs, style Kilian, Frédéric, Dilan, etc ; et en plus, on nous en rajoute deux ou trois. Ya tellement de boulets, c’est plus une classe, c’est un arsenal.

Mme Loiseau. –Viens, on peut pas laisser faire. Mais pourquoi, bon Dieu, pourquoi ils nous font ça ?

Moi. –Ah mais c’est assez simple. Les bons élèves ont pris toutes les options qui multipliaient leurs chances de se retrouver dans de bonnes classes ; du coup, on a bien voulu nous les laisser un an, mais maintenant on les regroupe avec les autres germanistes, ou bien on les envoie en classe européenne. Et pour ce qui est des mauvais, ben écoute, je crois que le raisonnement c’est « Oh, de toutes façons la classe de Mme Loiseau et M. Devine, elle est plutôt sympa, ils peuvent bien prendre un affreux en plus, ptêtre même ils réussiront à le calmer. » Pis faut dire aussi que des affreux, hein, y’en a de plus en plus, alors il faut bien les caser quelque part…

Mme Loiseau. -Oui mais le résultat, une fois de plus, c’est que les élèves qui ont demandé à faire cette option en sont écartés et que par contre, on se retrouve avec deux tiers de gamins que ça n’intéresse absolument pas. Vivent les classes à projet ! Quand je pense au mal que je me suis donné pour monter ça quand je suis arrivée au bahut… (Arrivée devant le tableau de répartition des effectifs -où chaque élève est représenté par une fiche cartonnée). –Ah la la la la, mais c’est encore pire que ce que je pensais… Quoi ? Ils veulent nous fourguer Nordine ? En plus de tous ceux qu’on a déjà ? Non mais oh, on est pas l’option combats de rue, non plus ! Et puis on peut pas laisser Dilan et Hind dans la même classe, sinon elles vont recommencer à nous faire chier dès le premier septembre. Ya quoi dans les autres classes, euh…

Moi. –La classe des anglicistes, là, elle a l’air bien tranquille, pas vrai Mme Mondésy ?

Mme Mondésy, prof d’anglais. –Et mais t’es une balance, toi !

Mme Loiseau. –Oh mais c’est vrai Hélène, t’as que des amours dans ta classe !

Mme Mondésy. –Je sais pas, je les ai encore jamais eus.

Mme Loiseau. –Mais moi je les connais bien, regarde… elle elle est trop mignonne, elle c’est une des meilleures élèves que j’aie jamais eues, lui bon, c’est sûr que les fées se sont pas penchées très longtemps sur son berceau, mais y fait des efforts… Allez, steplaît, prends-en un des miens… Tiens, Dilan Yilmaz, une fois séparée de Hind Djelloul elle est à peu près inoffensive. Et en échange je te prends celui-là, là, Houcine.

Moi. –Eh mais dites donc, dans l’affolement tout à l’heure il y a un truc dont je m’étais pas rendu compte. Vous avez vu le nombre d’élèves par classe.

M. Pereira, prof de français, qui attendait son heure en silence. –Eh oui. Il y a au minimum 26 élèves par classe. On aurait pu faire tranquillement une classe supplémentaire et ça aurait bien facilité nos problèmes de répartition.

Mme Loiseau, Mme Mondésy et moi. –Ouah ! 26 élèves !

M. Pereira. –Voilà, merci Darcos, merci Sarko. Je vous avais dit de faire grève, je vous ai dit qu’on aurait dû réagir quand on a connu la DHG. On a rien fait, voilà le résultat.

Mme Loiseau. –Et si on s’était enchaîné aux grilles du collège tu crois qu’on aurait eu quoi en échange ?

Moi. –26 par classe, dans un collège de ZEP classé prévention violence… A 26, tu as la garantie absolue d’avoir au moins trois élèves ingérables dans chaque classe.

Mme Loiseau. –Ben évidemment : en 6° G, cette année, ils n’étaient « que » 24, je peux te dire que des fois tu sortais du cours comme d’un ring !

Moi. –C’est clair que, sauf exception, on va faire de la garderie disciplinaire. Adios le suivi individuel des élèves. Déjà qu’on en faisait pas beaucoup.

M. Pereira, grinçant. –Mais c’est pas grave, ça, Ali. Le suivi individuel, tu le feras pendant tes heures sup’, en cours de soutien, le soir. Parce qu’après avoir passé six heures devant des classes surchargées et ingérables, tu n’auras qu’une envie, c’est de faire une ou deux heures sup’.

M. Le Tallec, prof de sport, déplaçant une fiche du tableau. –Pardon, excusez-moi, eeeet… hop-là.

Mme Loiseau et moi. –Eh mais qu’est-ce tu fais là ?

M. Le Tallec. –Je vous refile un élève. Ne me remerciez pas. Il a été placé dans la classe foot, je sais pas pourquoi, il a raté le test d’aptitude l’an dernier. Alors il ne peut pas venir chez nous. En plus je le connais, c’est un connard de première.

Mme Loiseau. –Tiens, Hélène, prends-le, s’il te plaît.

Mme Mondésy. –Ah non ! Je t’ai déjà pris l’autre folle là, comment elle s’appelle, Dilan Machinchouette.

Mme Loiseau. –Bon, alors ce garçon, je le place là, hein, bien en évidence. S’il y a quelqu’un qui veut faire du social, qu’il le prenne. Mais moi, c’est niet. Non mais franchement, Ali, t’as vu la gueule de cette classe ? J’hallucine ! C’est censé être un truc de prestige, qui draine les bons élèves, et voilà le résultat.

Moi. –Ecoute, quand je regarde la composition de la classe, je me dis que ça peut passer. Evidemment, le niveau sera encore plus faible que cette année, puisqu’on perd pratiquement la moitié des bons élèves. Mais pour ce qui est des cancres… (Je pointe leur fiche du doigt.) Abdallah, Kilian et Frédéric sont des gros sécheurs. Ya pas de raison qu’ils deviennent super-assidus en cinquième. Faudra faire passer un message clair en début d’année, du style « C’est pas la peine de venir si c’est pour nous casser les pieds. » Si tout se passe comme je pense, on ne les verra pratiquement plus à partir de novembre.

Mme Loiseau, à moitié séduite par mon raisonnement. –Ouais, faudra tenir deux mois, quoi.

Moi. –Pour le reste… Hind se calmera peut-être un peu, une fois séparée de sa Dilan chérie. Mohand ne comprend rien à rien mais il n’est pas méchant, et à mon avis il va suivre l’exemple de son grand copain Abdallah. Donc, en fin de compte, on a une classe médiocre et bavarde, c’est clairement pas le rêve de Jules Ferry, mais ça reste du domaine du faisable. Faudrait juste réussir à se débarrasser du nouveau venu, le Nordine, là. (A la cantonade) Qui veut mon Nordine ? Je lui paie le café jusqu’au premier janvier 2009 !

Quelqu’un. –Et le Lexomil, tu le paies aussi ?

M. Sanchez, prof d’histoire-géo. –Puis-je t’interrompre un instant, monsieur le coordinateur des enseignants d’histoire-géo ?

Moi. –Tu puis-je, cher collègue, car j’ai su rester simple malgré le prestige de mes fonctions.

M. Sanchez. –Tu as des nouvelles du remplaçant ?

Moi. –Alors en fait, c’est compliqué. Le rectorat s’est gouré et a affecté deux profs sur le même poste. Au moment où je te parle, on ne sait pas lequel des deux travaillera ici. Ce qui est rigolo, c’est que ces personnes sont toutes les deux de l’académie de Bordeaux. Et très consciencieusement, elles sont toutes les deux venues jusqu’à Staincy pour visiter l’établissement, rencontrer le principal, etc. Eh bien, pour l’une des deux, cette visite n’aura qu’un intérêt purement touristique, puisqu’à la rentrée elle bossera ailleurs. Evidemment, l’aller-retour Bordeaux-Paris en TGV est pour leur pomme.

M. Sanchez. –C’est des néo-titulaires ?

Moi. –Ben évidemment, l’autre, on va tout de même pas nommer des profs chevronnés en Seine-Saint-Denis. -Et toi, tu as des nouvelles du remplacement de Mme Léostic [la principale-adjointe] ?

M. Sanchez. –Ah mais en disant cela tu te places dans une hypothèse optimiste, qui est qu’elle sera remplacée. Ce n’est pas sûr. M. Navarre peut très bien piloter seul l’établissement pendant quelques mois à partir de septembre. Ne fais pas cette tête-là, je ne fais que te répéter ce que j’ai entendu. Bon, l’hypothèse la plus probable est que Mme Léostic sera bel et bien remplacée. Mais par un stagiaire. Or ce stagiaire devra participer à 40 journées de formation dans l’année. Autant dire qu’en plus d’être novice, il ne sera pas souvent là.

Moi. –Total bonheur. -Ooooh, monsieur Puzzou, quel plaisir de vous voir dans notre modeste salle des profs ! Je peux vous dire un mot ?

M. René Puzzou, intendant. –Euh ouais mais vite, y faut que j’aille voir combien y nous manque de chaise dans les salles de classe, hin hin.

Moi. –Voilà, je me suis concerté avec mes collègues profs d’histoire-géo ainsi qu’avec les documentalistes, et nous avons constaté qu’il n’y a plus assez de manuels pour les effectifs prévus en cinquième et en quatrième l’an prochain.

M. Puzzou. –Alors là, je vous arrête tout de suite, hin hin. Non seulement la dotation qu’on a reçue cette année pour l’achat de nouveaux manuels est minable. Mais en plus l’histoire-géo ne fait pas partie des matières prioritaires, hin hin.

Moi. –M. Puzzou, je vais me permettre d’insister. Il ne nous reste pas assez de livres. Ceux qu’on a sont en très mauvais état ; dans certains exemplaires, il manque jusqu’à trente pages. Le changement de programme n’aura pas lieu avant 2010 pour les cinquième et 2011 pour les quatrième. C’est totalement impossible de tenir jusque là. Ou alors, on fera des milliers de photocopies et vous allez nous engueuler parce qu’on fait exploser la facture de papier et qu’il faut remplacer le toner tous les dix jours.

M. Puzzou. –Qu’est-ce vous voulez je vous dise, les caisses sont vides, hin hin.

Moi. –Mais c’est pas possible de bosser dans des conditions pareilles. J’en ai marre. Je démissionne.

M. Pereira. –Et voilà. Un fonctionnaire en moins.


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