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Villégiature à Suresnes... -3-

Publié le 17 août 2019 par Perceval

- Hein! mon petit, dit-elle, remise, en désignant du pouce ramené en arrière la chambre de l’adultère et de l’index tendu la pièce où se débattait le moribond, ici la Vie; là-bas, la Mort! l’éternelle antithèse! et chez moi, dans la même minute... Est-ce assez décadence et XVIIIe siècle?... On ne dira plus maintenant que je ne suis pas une artiste, bien que je ne sois plus de l’école romane et que j’aie répudié l’allure inspirée apte à vous faire sacrer telle par les imbéciles...

Alors entraînant la veuve dans le jardin où l’effort désespéré de quelques lilas atteints d’étysie avait abouti à de maigres thyrses dont les folioles, flétries et dispersées par la brise tiède, tachaient la terre d’un rose évanescent, sous un petit tilleul ceinturé d’une frange sanglante de géraniums, Jules H., rechaussé, se mit en devoir de lui placer son boniment. La tête penchée, en une pose d’amoureux élégiaque, il flûta la chose d’une voix attendrie...

Villégiature à Suresnes... -3-

—Ah! si sa chère Amélie voulait! Comme on serait heureux... pas plus tard, non, tout de suite... Quelle place on se taillerait à deux dans la littérature! Déjà... elle pouvait se faire connaître dans la Revue héliothrope... La signature Camille de Louveciennes deviendrait avec un peu d’effort... une signature bientôt prépondérante parmi celles de son sexe qui ont conquis leur public... Et puis son livre, Eros et Azraël, qu’ils allaient écrire à deux, quel triomphal succès, on en pouvait escompter déjà sans trop d’optimisme. Lui y mettrait son sentiment du paganisme, sa passion, sa fougue, l’humour qui le spécialisaient au Napolitain; elle sa conception originale de la vie, son alacrité souveraine et sa facilité d’émotion...

Villégiature à Suresnes... -3-

Ils allaient perpétrer un chef-d’œuvre, certainement, le chef-d’œuvre attendu des foules lasses enfin d’apaiser leur fringale dans le restaurant à vingt-deux sous de l’esthétique contemporaine... La Truphot l’avait pris au cou, nouant autour de son faux-col, dans un bel élan d’enthousiasme, ses deux vieilles mains parcheminées que boursouflaient les ficelles violâtres de ses veines engorgées...

—Ah! merci, Jules, je n’attendais pas moins de votre noble cœur... On a plaisir à vous aimer... Vous êtes reconnaissant au moins... Oui... Oui... C’est entendu, mais allons faire de grandes choses... Si je pouvais être Desbordes-Valmore ou qui sait? une George Sand tardive, toi alors peut-être serais-tu Musset à ton tour, dis? On a vu des choses plus inattendues, et entre nous il n’y aurait point de Pagello, va... Et elle se mit à l’embrasser à pleine bouche en des baisers qui rendaient un bruit d’ossements, mais dont l’horreur n’arriva point cependant à tempérer le délire intime de J. H., en lequel une voix profonde clamait intérieurement: tu touches à la Fortune, ô favori des dieux!

Villégiature à Suresnes... -3-

Cependant Mme Truphot semblait ne pouvoir encore tenir en place. Elle rajustait à grand renfort de tapes et de tractions sa jupe et son corsage, à l’ordinaire pleins d’hostilité et de mésestime l’un pour l’autre, qui ne pouvaient consentir à la stabilité, et dont la course à travers les escaliers avait encore outrecuidé la répulsion chronique qu’ils éprouvaient à se conjoindre. Et voilà qu’à nouveau elle tirait Jules H. derrière elle, en le tenant par le bout des doigts.—Venez... j’ai quelque chose encore à vous montrer...

Parvenus ainsi à l’extrémité de l’allée principale qui ondoyait, bordée par des tentatives de végétation avortée, ourlée de maigres et impubères arbustes, tordus et recroquevillés, n’ayant pas cru devoir mieux faire, évidemment, que de copier la convexité dorsale de leur habituel éducateur, le père Saça, le prosifère et la veuve débouchèrent à quelques mètres d’une tonnelle faite d’un lattis de bois peint en vert, adossée elle-même à une tente de toile bise. Et de cette tonnelle, une envolée de rire frais et moqueur montait, emperlant le silence de ce jardin râpé d’une ondée de notes cristallines...

- Savez-vous ce qui se passe là? disait la veuve. Eh bien, Modeste Glaviot est en train de réussir ce que vous avez raté tout simplement... petit maladroit... Ce soir Madame Laurent sera sa maîtresse... J’ai déjà préparé leur chambre à côté de celle de Sarigue... Hein? les nuits de Suresnes, quand nous écrirons cela dans mes mémoires!

Sans doute, les choses ne devaient pas aller aussi facilement que le pensait Mme Truphot car, tout à coup, des intonations cassantes, remplaçant les rires, parvinrent jusqu’à elle et à son actuel gigolo.

Dans la tente de toile où ils s’étaient glissés à pas feutrés, le couple savoura nettement ce tronçon de dialogue.

Villégiature à Suresnes... -3-

Modeste Glaviot grasseyait de sa voix molle et Madame Laurent lui donnait la réplique.

- Je vous assure que je suis un amant très discret, chère madame. Je n’ai jamais aimé que vous! Avec moi ce serait la sécurité parfaite. Lorsqu’on a le bonheur d’être remarqué par une femme du monde, la discrétion, n’est-ce pas? devient une règle morale. Quand bien même, sachez-le, toute la littérature affirmerait que vous êtes ma maîtresse; par la plume, par la parole et par les actes, je mettrai la littérature à la raison. J’irai même plus loin, quand bien même vous crieriez partout que je suis votre amant, je vous démentirai sans trève ni repos...

Et l’on entendit son poing qui heurtait le bois de la charmille en un geste de matassin.

Un rire arpégé s’éleva.

—Eh bien! c’est entendu. Dès que ma nature pervertie m’enjoindra de goûter à un nègre, vous pouvez être assuré que je vous choisirai la veille, pour que la transition ne soit pas trop brusque...

La Truphot et J. H. virent alors Madame Laurent sortir, le torse redressé, son érugineuse chevelure flambant dans un rais de soleil comme une coulée d’or roux, la pointe de l’ombrelle dardée en une défense répulsive vers Modeste Glaviot, contre la poitrine de l’histrion pâle de colère qui renonça cependant à la poursuivre..

Villégiature à Suresnes... -3-

Une heure durant le pître avait mis en œuvre toute sa politique et toute sa stratégie pour circonvenir la femme de l’auteur dramatique. Il avait peint son amour avec les meilleurs vers de son répertoire, allant même jusqu’à lui décerner, debout devant elle, deux ou trois de ses plus déterminants Merdiloques. Il lui avait fait entrevoir que son mari était fini, et que, jolie comme elle l’était, il ne lui fallait pas s’attarder davantage avec un homme dont l’art était inacceptable. Madame Laurent l’avait laissé s’exténuer dans son discours, paraissant même l’encourager par des silences ou des rires qu’il avait escomptés favorablement; puis, selon qu’elle en avait coutume avec tous les crétins qui l’assaillaient, elle l’avait finalement exécuté sans retour possible. Maintenant, l’ombrelle rouge sur l’épaule, elle rejoignait la maison d’une allure lente et placide.

La Truphot rageait à froid. Jules H., réhabilité par l’échec de l’autre, se pavanait dans un sourire béat. Hé, hé! il n’y avait pas que lui qui ratait Madame Laurent. Mais comment diable, était elle venue, seule, à Suresnes?

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Ce que le gendelettre ignorait, c’était la machination de Mme Truphot pour obtenir ce résultat. Elle avait joué gros jeu, très gros jeu, dans la certitude que Modeste Glaviot l’emporterait sans difficulté. Laurent s’étant trouvé dans la nécessité d’aller passer deux jours à Bruxelles pour diriger la mise à la scène d’une de ses pièces, la Truphot, au courant de la chose, avait fait expédier de cette ville à sa femme une dépêche fausse—signée de lui Laurent—et lui conseillant de se rendre à Suresnes où elle était invitée et d’y attendre son retour. Le truc devait bien se dévoiler tout seul, plus tard, mais cela n’aurait plus la moindre importance puisque Madame Laurent serait alors la maîtresse de Glaviot et que le mari, à la rigueur, ne pouvait rien contre elle. Certainement il crierait, mais il lui serait impossible de se venger d’une façon efficace. Adresser une plainte au Parquet pour faux? c’était faire éclater son cocuage et ce n’était du reste pas dans les mœurs de l’auteur dramatique de se plaindre à la police. Même s’il s’avisait de conter la chose dans Paris, on ne le croirait pas. Pourquoi la Truphot lui aurait-elle joué des tours aussi noirs puisqu’elle n’y avait en somme aucun intérêt visible, aucun mobile discernable? Donc si quelques petits ennuis étaient présumables, ils ne balanceraient pas sa joie d’avoir enfin détruit la quiétude de Laurent et d’avoir ourdi un collage de plus. Et puis n’était-elle pas belle joueuse? Si la chose avait été exempte de tout aléa elle n’aurait point éprouvé, en s’y risquant, la forte émotion de celui qui s’en remet à la chance du soin de décider.

Installé maintenant dans un rocking d’osier, les jambes étendues, Jules H. tirait de larges bouffées d’un cigare bagué de rouge prélevé dans la provision de Mme Truphot et il promenait sur la villa, le jardin, et tout ce qui l’entourait le sourire protecteur du Monsieur qui en sera bientôt le propriétaire légitime. On devait dîner dans la salle à manger ouvrant de plain-pied avec ses trois baies sur la petite cour, d’où l’on découvrait le bois de Boulogne, les cubes blanchâtres, le hérissement de la masse imprécise de Paris. Le jour agonisait, les frondaisons du bois, la masse des taillis qui dentelaient l’horizon par delà la Seine, se violaçaient, enlevés en crudités sombres par le ciel frotté de cendre rose, des nuages mauves s’étiraient, indolents et paresseux, ouatant l’ithyphallique tour Eiffel d’écharpes couleur d’améthyste, et le soleil sombrait en une hémorragie d’or et de rubis, pendant que la ferveur sereine du soir conquérait lentement les êtres et les choses. Par la fenêtre de la chambre du typhique des bouffées de paroles arrivaient.

Villégiature à Suresnes... -3-

A suivre … : La mort, les Esprits, et le mari ...


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