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Les plasticines

Publié le 17 juillet 2008 par Frédéric Romano

Lui : Alors ? Comment vas-tu ?
Moi : Bof, disons que…
Lui : Moi en tout cas ça va super bien.
Moi : … Ha… c’est bien…

J’étais autrefois mou, modelable et vert comme de la plasticine. Aujourd’hui, j’ai cette envie de m’enfermer dans mon pot, bien hermétiquement, à l’abri de l’air et de la lumière, pour ne pas durcir, ne pas craquer. Je ne dois pas être le seul à me sentir pâte à modeler. Que vous soyez rouge, mauve ou bleu, nous sommes tous des plasticines.

Nous avons de l’espérance en nos facultés à nous adapter et à changer de forme. Nous aimons nous dire que nous pourrions nous fondre dans n’importe quel moule ou environnement sans nécessairement devoir y trouver un intérêt personnel. Nous nous en persuadons tous les jours. Mettez-nous dans un cube et il nous poussera des arêtes. Faites-nous entrer dans un tube et nous nous allongerons sans peine. Enfermez-nous dans une cage et nous terminerons très certainement par nous adapter aux barreaux, pour peu qu’une raison autre que la résignation nous y pousse. Nous aimerions tous être de ces êtres ouverts et réceptifs, à l’aise partout parce que joyeusement curieux des autres et du monde. On passe pourtant notre temps à s’assurer qu’on ne perd pas la face, une vie à surveiller les conséquences de nos actes et de ceux des autres sur notre personne et notre image, comme si celles-ci étaient acquises, définitives et éternelles. On ignore les forces et les mécanismes qui en une vie nous font passer malgré nous du simple au double pour ensuite nous réduire de moitié et nous mener vers le néant. L’adaptation, l’écoute et l’attention sont paraît-il des talents remarquables de l’être humain, des talents que nous bafouons trop souvent d’un nombrilisme crasse. S’adapter aux autres, se fondre dans leur monde, les englober, se mélanger, sans pudeur et sans retenue, ferait assurément de nous une espèce exemplaire si la crainte de laisser chez les autres un bout de plasticine ou de souiller notre belle monochromie ne nous pendait pas sans cesse au nez.

Un soir de la semaine dernière, un soir pluvieux, j’étais assis en face d’un presque inconnu. C’était le résultat d’un rituel désormais bien rodé, quasi banal. Il s’appelait Vincenzo, Italien, danseur et chorégraphe, “rencontré” de sa propre initiative un mois auparavant, recontacté de mon propre chef trois semaines après. On a parlé, on a bu, il m’a accidentellement renversé son verre de vin blanc sur mon jeans et ça m’a plutôt fait rire. C’était plaisant mais la rencontre ne m’a inspiré que ce texte bâti autours de cette matière molle et modelable. Je n’ai sans doute pas été très attentif à son discours et je n’ai pas compris grand chose à sa vision de la danse contemporaine, trop occupé que j’étais à chercher l’image qui donnerait un peu de “magie” à cette situation que je juge parfois un peu pathétique. Je suis blasé de ces rencontres d’un soir. Elles pourraient, si j’y mettais un peu du mien, m’apporter autre chose qu’un goût d’alcool au fond de la gorge. Mais je me replie sur moi, dans cette solitude que j’aime tant, blotti dans ma boîte en plastique, à l’abris de l’air et des autres, pour ne pas ternir mon vert, ne pas durcir, ne pas craquer…

Nous sommes des boules de plasticine qui passons nos vies à nous entrechoquer en espérant prendre des formes qui se correspondront. Quand par bonheur les matières se mélangent, nous regrettons amèrement les minuscules particules qui déjà commencent à souiller notre teinte autrefois éclatante.

Je voudrais tellement trouver la force et l’énergie, le mouvement perpétuel qui me donnerais l’espoir de ne jamais m’assécher et de m’enrichir des autres, sans aucune aucune attente sinon celle de puiser chez eux de la souplesse et les couleurs de l’arc-en-ciel. Sans raison valable, je me préserve dans ce bocal que j’ai parcouru mille fois et, enduit de vernis, dans une position éclatante, je prends des airs de pâte à sel.


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