Magazine Journal intime

Saint-Simon, la cravache, l'océan... et la continuelle et cruelle défaite de tous les grands livres qui restent à lire

Publié le 16 novembre 2019 par Dcmky


'Ce même jour, 3 mai, sur les dix heures du soir, j'eus le malheur de perdre mon père. Il avait quatre-vingt-sept ans, et ne s'était jamais bien rétabli d'une grande maladie, qu'il avait eue à Blaye, il y avait deux ans. Depuis trois semaines il avait un peu de goutte. Ma mère, qui le voyait avancer en âge, lui proposa des arrangements domestiques qu'il fit en bon père, et elle songeait à le faire démettre en ma faveur de sa dignité de duc et pair. Il avait dîné avec de ses amis comme il avait toujours compagnie. Sur le soir il se remit au lit sans aucun mal ni accident, et pendant qu'on l'entretenait, il poussa tout à coup trois violents soupirs tout de suite. Il était mort qu'à peine s'écriait-on qu'il se trouvait mal: il n'y avait plus d'huile à la lampe.
J'en appris la triste nouvelle en revenant du coucher du roi, qui se purgeait le lendemain. La nuit fut donnée aux justes sentiments de la nature.'

Dans le style du divin duc, il y a du Proust et il y a du Tacite. La phrase se développe, ample, démesurée, englobante comme une mer, et tout à coup un coup de cravache vient la cingler en plein visage.

Beaucoup de mots pour dire beaucoup - les mémoires font un gigantesque continent. Et puis à côté aussi, très peu de mots pour dire beaucoup : 'Il était mort qu'à peine s'écriait-on qu'il se trouvait mal: il n'y avait plus d'huile à la lampe.'

Je disais que les Mémoires de Saint Simon font un vaste continent; il me faut, à ce propos, ajouter que c'est un souci permanent de me dire que le temps passe et que je suis si loin d'en être venu à bout. Huit volumes dans la Pléïade!

Plus qu'un souci, une continuelle et cruelle défaite. De constater qu'on n'arrive pas à lire - et c'est un euphémisme - tous les livres qu'on s'achète.

Une continuelle et cruelle défaite que je m'inflige



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