Magazine Journal intime

[lu, babelio] la prière des oiseaux, roman de chigozie obioma

Publié le 25 janvier 2020 par Tilly

Buchet-Chastel,lien traduit de l'anglais par Serge Chauvin,  janvier 2020, 528 pages, 25 euros
merci à Babelio et Buchet-Chastel pour l'envoi du livre et l'invitation à rencontrer l'auteur (finaliste Man Booker Prize 2019) le 20 janvier 2020

4è de couv : Chinonso, un éleveur de volailles du Nigeria, croise une jeune femme sur le point de se précipiter du haut d’un pont. Terrifié, il tente d’empêcher le drame et sauve la malheureuse Ndali. Cet épisode va les lier indéfectiblement. Mais leur union est impossible : Ndali vient d’une riche famille et fréquente l’université, alors que Chinonso n’est qu’un modeste fermier…   — Chigozie Obioma est né en 1986 au Nigeria, et vit désormais aux États-Unis où il enseigne le creative writing. Son premier roman, Les Pêcheurs (L’Olivier, 2016), finaliste du Booker Prize, lui a valu une reconnaissance mondiale.Hier soir, ma petite gloriole de lectrice de taille moyenne en a pris un coup...
J'étais en taxi dans les encombrements ; le chauffeur passait ostensiblement des coups de fil audiblement personnels (même si je ne comprenais pas un mot à son langage musical parsemé d'anglais, l'écran de son smartphone affichait la photo d'une belle jeune femme noire en pied, radieuse).
Je venais tout juste de refermer le livre de Chigozie Obioma. J'étais encore sous le coup du dernier chapitre de La Prière des oiseaux, d'une beauté déchirante.
Alors j'ai fait la maline... dit que j'aimais entendre les langues que je ne comprend pas... ça chante... d'où êtes-vous ? (j'aurais eu l'air fin si il m'avait répondu de Bobigny)
Mais là, petit miracle de synchronicité, il me répond : Nigéria !
— Ça alors :  je viens justement de lire un livre de... qui... que...


Non il ne connaissait pas Obioma ; il l'a gouglé aussitôt :
— oh, il est jeune ! lui, non je ne l'ai pas encore lu, il est du nord, moi du sud est, mais vous, vous connaissez Wole Soyinka ? le prix Nobel de littérature ?
— mffff... entendu ce nom... je crois...
— et Chimanda Ngozi Adichie ? et Chinua Achebe ?
Ouf sauvée, oui j'avais vraiment entendu parler de l'auteure d'Americanah mais complètement oublié qu'elle était nigériane.
Quant à Achebe, c'est Obioma lui-même qui le présente dans son livre comme sa référence absolue sur les croyances, les traditions, et la cosmologie igbo, qui imprègnent son roman et surtout lui inspirent un narrateur étonnant : le “chi” de son héros Chinonso.
Mon taxi était intarissable sur les nombreux écrivains de son pays, leurs succès, et visiblement ravi d'en parler.
Un taxi décidément très littéraire, qui à un moment pour échapper à la glue automobile du boulevard Saint-Germain, s'est faufilé par le prolongement de la petite rue Sébastien-Bottin !

un narrateur étonnant... tout à la fois omniscient, intérieur et extérieur

Je le disais plus haut, c'est l'invention magnifique de Chigozie Obioma : faire raconter la triste histoire de Chinonso, par son chi, un esprit plus qu'omniscient, puis qu'il est insécable de son “hôte”, qu'il est le témoin effaré de tout ce qui lui arrive. Il a beau posséder l'expérience immémoriale des vies de ceux, très nombreux, dont il a été le chi auparavant, il est désemparé devant le malheur de son dernier protégé.
Le roman commence avec le rapport très formel qu'il est venu faire devant son autorité supérieure (la divinité Chukwu).
C'est une plaidoirie, une supplique. Chinonso, et ce n'est pas la première fois, a commis un acte gravissime, sans doute un crime de sang. Chi est convaincu que c'est à son insu, sans intention. Pour cela, Chinonso va être la cible d'une vengeance divine terrible et ne pourra pas suivre le cycle de réincarnation auquel son chi le destinait. Échec professionnel terrible pour le chi.
En décrivant minutieusement le déroulement des trente années de la vie de Chinonso, en mettant en avant ses qualités et nombre de circonstances atténuantes, le chi espère convaincre Chukwu de l'innocence de son “hôte”.

Le discours du chi est particulier... Il introduit chaque épisode du calvaire de Chinonso par des considérations et des analyses parfois grandiloquentes ou alambiquées, voire un peu pompeuses.
Puis il s'efface pour passer au compte rendu proprement dit des faits et gestes de son protégé.
C'est un peu comme si le chi était une webcam intégrée. On est avec Chinonso, on l'entend, on se déplace avec lui. On voit le décor de sa vie quotidienne assez misérable. Sa rencontre avec la belle et riche Ndali qu'il empêche de se suicider. Leur amour. Ses déboires avec la famille opposée à une mésalliance. Comment il se retrouve à Chypre où il pensait pouvoir faire des études, dépouillé, isolé. Ses larmes (couverture). La dégringolade jusqu'à la prison. Et de pire en pire...

Je ne voudrais pas donner l'impression que je m'intéresse plus à la construction et au mode narratif qu'au drame du jeune nigérian éleveur de poules.
Pas du tout. Ce roman est magnifique, forme et fond. Foisonnant et puissant.
L'intervention progressive et inexorable de la fatalité est poignante et le final est absolument... shakespearien !

talent confirmé

J'avais lu en 2016 le premier roman (celui-ci est le deuxième) de Chigozie Obioma.
Comme c'était pour les Notes Bibliographiques, je n'avais pas fait d'article de blog.
Voici l'analyse courte (200 mots max) d'alors :

1996 : Akure, petite ville du Nigeria. Les quatre frères Agwu âgés de neuf à quinze ans profitent de l'absence prolongée de leur père pour désobéir et aller pêcher dans la rivière, un cloaque pollué et dangereux, fréquenté par des laissés-pour-compte. Abulu, un pauvre fou visionnaire, les terrorise par la violence de sa prophétie : l'aîné Ikenna mourra de la main d'un de ses frères. Les enfants sont anéantis : cauchemars, peur, suspicion prennent la place de leurs jeux et confidences fraternels.

Dans ce premier roman Chigozie Obioma raconte l'implacable dérive tragique d'une famille soudée qui n'a nullement mérité le mauvais sort qui s'abat sur elle. L'enchaînement inéluctable des malheurs est rendu encore plus pathétique par l'absence de faute originelle. L'histoire, portée par le personnage infiniment touchant du plus jeune frère devenu adulte, intègre des retours au passé et à l'enfance. Dans une construction et une narration contemporaines, l'auteur mêle, sans heurts, paraboles, anecdotes folkloriques, références bibliques et croyances animistes, sur fond de violences politiques et de pauvreté… Une histoire émouvante, cruelle et sombre, illuminée par le talent de conteur et la force d'évocation d'un jeune écrivain nigérian prometteur. (T.R. et S.La.)
4&

Ce premier roman était aussi finaliste pour le Man Booker Prize (2015).
Le troisième sera sans nul doute lauréat !

>> elles et ils en parlent aussi :


>> video Babelio : entretien à l'occasion de la rencontre entre l'auteur et les lecteurs de Babelio.com le 20 janvier 2020. L'auteur avait choisi les mots amour, conte, mythes, voyage, solitude, pour évoquer son roman


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