Magazine Humeur

Le journal du professeur Blequin (161)

Publié le 06 juin 2021 par Legraoully @LeGraoullyOff
Le journal du professeur Blequin (161)

14h30 : Après un week-end idyllique dans un des ces coins de paradis comme sait en renfermer notre beau Finistère, il m'a bien fallu reprendre les livraisons de mon album ; le commanditaire auquel je rends visite aujourd'hui est un sculpteur qui construit lui-même son atelier à Guipavas, non loin du bourg. Il me faut une bonne heure de route en bus pour y arriver, mais c'est le genre de rencontre qui vaut bien un petit effort.

15h : Ayant quitté mon client, je repasse devant l'hôtel de ville de Guipavas pour reprendre le bus. J'ai alors l'occasion de voir quelque chose que je n'avais pas encore vu depuis mon retour à Brest : une affiche électorale du RN ! Après avoir craché dessus (un réflexe), je remarque qu'elle claironne que les deux têtes de con qui y sont représentées sont " les candidats de Marine Le Pen ", ce qui prouve tout simplement que, comme tous bons fascistes, ils se préoccupent davantage du culte de leur seigneuresse que du sort de leurs concitoyens... Racaille fasciste !

Mardi 1er juin

10h30 : Je daigne enfin me lever. Ce n'est pas facile de trouver le courage de sortir du lit, quand le monde vous fait peur... Il fait un soleil pétant, comme pour mieux me narguer. Heureusement, j'ai un prétexte en béton armé pour me replier sur moi-même : j'ai trop de travail pour " profiter " de ce " temps magnifique " qui me rappelle trop de mauvais souvenirs et me fait sentir encore plus vulnérable... Alors je baisse le volet de mon bureau et je me passe une vidéo de pluie en bruit de fond : ça m'apaise... Il fait soleil, et alors ? Qu'est-ce que vous voulez que ça me foute tant qu'on sera encore obligés de se déguiser en Michael Jackson presque partout ?

Mercredi 2 juin

11h : Je suis obligé de sortir pour acheter du pain ; sur le panneau d'affichage situé près de mon immeuble, je découvre ce que je désespérais de revoir un jour : des affiches de concert ! J'ai beau n'avoir aucune envie d'aller applaudir Miossec ou Renan Luce, ces réclames sont pour moi le signe le plus évident que la vie reprend enfin ses droits... D'un seul coup, sortir me coûte moins !

16h15 : Nouvelle sortie, cette fois pour aller à la poste puis au cours du soir. J'en profite pour ouvrir ma boîte aux lettres (le facteur passe tardivement dans mon quartier, allez savoir pourquoi) qui se trouve être inhabituellement pleine. Comme j'ai un peu de temps, je m'arrête quelques minutes pour dépouiller tout ce courrier : dans le tas, il y a les professions de foi des candidats aux départementales ; je les parcours en diagonale pour voir quelles listes sont en présence dans ma circonscription et je fais assez vite mon choix (je ne vous dirai pas lequel, le vote est secret) et je constate que seul le RN est suffisamment convaincu de la débilité de ses électeurs pour leur rappeler en grosses lettres qu'il faudra voter deux fois (pour les départementales et pour les régionales) le 20 et le 27 juin... Tous ces documents de propagande n'auront pas attendu longtemps pour faire le trajet de ma boîte aux lettres jusqu'à ma poubelle.

16h45 : Enfin parti, je vois que les affiches de concert qui m'avaient rempli de joie ce matin ont été recouvertes par des affiches du RN ! N'en pouvant plus, je les arrache. Oui, en plein jour, je ne vois pas pourquoi j'aurais à me cacher d'être un antifasciste primaire ! Tandis que je perds du temps à cette besogne, une voiture s'arrête derrière moi et le conducteur émet à mon attention un " holala " que j'hésite à interpréter de façon tranchée : était-il sarcastique ou voulait-il souligner l'importance de l'effort que je fournissais (car il est vrai que ces saloperies étaient bien collées) ? Mystère... Toujours est-il que sur les deux candidats fachos représentés sur ces affiches, il y a un noir : je n'en suis pas étonné outre mesure, on sait depuis l'affaire Dieudonné que les noirs peuvent être aussi cons que les blancs et il y a bien des Juifs qui ont collaboré avec les nazis... Il n'empêche que ce type doit être un crétin doublé d'un beau salaud - mais il en serait un aussi s'il était blanc.

18h : Au cours du soir, nous nous essayons à l'aquarelle. Conformément aux consignes de notre professeur, nous nous inspirons de photos de nuit. L'une des élèves, une femme d'âge mûr (ce détail a son importance, vous allez voir) a subitement un problème : le smartphone sur lequel est enregistré son modèle tombe en panne de batterie. Je me permets de lui faire remarquer que c'est le genre de problème qu'elle n'aurait pas si elle avait, comme moi, apporté un tirage papier de sa photo... J'ai 33 ans et je dis ça à une dame qui pourrait être ma mère : cherchez l'erreur !

Jeudi 3 juin

11h : Sortie en ville pour régler quelques petites affaires. Je commence par passer dans une boutique pour y retirer des colis. M'attendant à tout, j'avais soigneusement noté les numéros qui m'avaient été donnés dans les messages m'annonçant l'arrivée de ma commande, mais l'individu qui m'accueille ne me les demande même pas et me donne mon dû sur simple présentation de ma carte d'identité. En revanche, aussitôt après, je me rends à la banque pour encaisser un chèque, et là, le guichetier me demande mon numéro de compte ! J'ai l'habitude de me rendre physiquement dans une agence bancaire pour encaisser mes chèques, mais jamais on ne m'avait fait une telle demande ! Un peu désarçonné, je lui fais remarquer qu'il est tout de même difficile et même impossible de retenir un numéro aussi long et que, de toute façon, il doit bien pouvoir le retrouver à partir de mon nom. De fait, il y arrive... S'il faut que les clients se mettent à apprendre leur métier aux employés, maintenant !

11h15 : Après ces quelques formalités, passage au bureau de poste le plus proche pour expédier un album commandé par une personne éloignée de Brest. Faire la queue, ce n'est jamais agréable, mais quand il fait chaud et que vous transpirez sous un masque, ça devient carrément infernal ! Je n'aurai peut-être pas le Covid-19, mais je risque la rupture d'anévrisme : c'est mieux, je suppose ?

18h30 : Pour la première fois depuis la réouverture, je bois un coup en terrasse, ayant accepté l'invitation d'une cliente pour pouvoir lui livrer son exemplaire de mon album. Je retrouve avec plaisir le port de commerce de Brest et, accessoirement, la vie grouillante que j'aime. Je ne porte même pas mon masque et personne ne me fait de remarque : descendre au port et se priver de l'air du large, c'est gâcher le paysage, point barre. Ma cliente a aussi invité une amie qui nous fait la bise sans remords : rendez-vous dans une semaine pour voir si l'un(e) d'entre nous en meurt dans d'horribles souffrances ! Si je me fous de vos gueules ? Ben oui, bananes !

Vendredi 4 juin

11h : Je fais mon marché. Mine de rien, ça ne m'était plus arrivé depuis huit mois ! La fromagère ne manque pas de me signaler qu'on ne m'avait pas vu depuis longtemps ; le marchand de pommes est masqué mais me rend quand même la monnaie avec ses grosses pattes non gantées : si vous trouvez une preuve plus flagrante du fait que le masque est inutile et ne sert qu'à nous donner bonne conscience, je vous paie des cerises - elles sont hors de prix chez les maraîcher auquel je me borne à acheter des carottes et des tomates cerises. Enfin, le charcutier me dit que j'ai bien choisi mon moment pour passer : il y a une heure, il y avait foule ! Comme quoi le Covid-19 est loin d'avoir décimé la population ; ce brave commerçant me fait remarquer que c'est justement à cause de l'épidémie que les gens passent tous à la même heure : là, j'avoue que j'ai du mal à comprendre, mais j'avoue aussi que j'ai déjà renoncé depuis longtemps à comprendre quoi que ce soit aux agissements d'une population terrorisée...

14h : Après un déjeuner vite expédié, retour à la case bureau pour encrer un dessin d'un type inhabituel pour moi dans le cadre d'un projet très ambitieux dont je ne peux pas parler pour l'instant... Ayant besoin de me concentrer au maximum, je ferme mon volet et je me passe des vidéos de pluie pour me couper littéralement du monde. Oui, je me confine, mais c'est par choix, pas sur l'ordre du gouvernement, et ça fait toute la différence !

Samedi 5 juin

17h15 : Mon dessin est enfin terminé, je reçois la visite d'un collègue caricaturiste. C'est mon premier visiteur depuis mon retour à Lambé, et il me dit à quel point il a souffert d'être catalogué " non-essentiel " et de ne pas pouvoir aller dessiner en extérieur ; il me raconte même le cas d'un copain à lui qui a fait un burn-out pour la première fois de sa vie... On ne compte plus les victimes collatérales des restrictions ! D'ailleurs, on ne les compte pas, on les méprise : on nous balance sous le nez les milliers de morts attribuées à la pandémie (dont certaines, au passage, sont plus que douteuses), mais on ne comptabilise nulle part tous les dommages causés par toutes ces mesures brutales. Et même si on daignait en parler, que répondrait le gouvernement ? " D'accord, vous avez pris du poids, des maladies très graves n'ont pas pu être diagnostiquées, des opérations importantes n'ont pas pu être effectuées, vous êtes déprimés et à bout de forces, l'année scolaire de vos gosses est foutue, vos vies de couple ont été torpillées, vous avez perdu vos amis, les artistes et les petits commerçants sont ruinés, vous avez sombré dans l'alcoolisme... Mais vous n'avez pas eu le Covid ! Alors, merci qui ? "


Retour à La Une de Logo Paperblog

Magazine