Mère, grand-mère et belle-mère...

Quelle difficulté de tout faire coïncider, de tout concilier, chaque rôle. Garder chacune sa place. Ma belle-mère a dépassé les bornes des limites, comme dirait ce craquant petit garçon en parlant de son poisson rouge nommé « Maurice » alors qu’il est couvert de chocolat…

Déjà tout au long de l’année, elle les avait dépassées. Trop gentille fille, je n’avais pas moufté. Elle s’inquiétait fort de ce que ma fille très proche de ses 3 ans, soit si réfractaire à un vaste sujet qui m’a longtemps préoccupée et pour cause : la propreté.
A chaque coup de fil j’avais droit au refrain : « Alors, elle a fait au pot ? Tu devrais vraiment l’habituer, en parler avec un pédiatre, je pense que ce n’est pas normal quand même qu’elle y soit si réfractaire… ».

C’était trop tard. Au fil des coups de fil, son angoisse comme une araignée venimeuse a tissé sa toile dans ma tête et a déteint totalement sur moi, et moi je l’ai illico refilée à ma fille, qui s’est décidée, une fois qu’elle était prête à avancer…

Ce matin, j’ai fini hystérique au téléphone.

Ma belle-mère avait trouvé un nouveau cheval de bataille, un nouvel os à ronger, une nouvelle angoisse à refiler à tout son entourage : le langage. Ma grande stagne depuis quelques mois au niveau du langage et ne progresse plus. A peine plus âgée de 3 ans de quelques semaines, elle n’est toujours pas capable de faire des phrases bien construites et de répéter les mots correctement.

J’ai tenté vainement avant son départ pour le sud de lui faire répéter des phrases correctes et construites. Je refusais de lui donner ce qu’elle demandait tant qu’elle ne prononçait pas une phrase bien bâtie. Ca n’a servi à rien. Ma fille est têtue, que voulez-vous, et tant que l’enfant n’est pas prêt à faire l’effort, à quoi bon s’entêter dans une guerre perdue d’avance ?

J’ai laissé, par politesse, parler la grand-mère… « Fais attention, tout de même, tu n’es pas sans savoir que tout se joue avant 6 ans ! », a-t-elle trouvé bon d’ajouter en fin de conversation. J’ai raccroché, et peu à peu la moutarde m’est montée au nez. J’ai ouvert ma page yahoo, et décidée, je lui ai écrit un mail pour lui dire un peu le fond de ma pensée…

Lui rappeler l’air de rien les circonstances particulières de l’année que venaient de vivre les filles. Que certes je n’avais pas poussé Anaïs pour qu’elle rentre à l’école en cours d’année. Le choix était délibéré. Mes filles venaient de vivre une séparation avec leur papa, deux changements de maison consécutifs et pas des moindres : une cohabitation abominable, et une installation chez nous, un changement de ville, de pays, d’environnement et de vie complet. Elles sont passées d'une maman à la maison à une maman qui travaille à temps plein. Il me semble que c’est déjà énorme pour deux petits bouchons !

J’ai choisi, cette année de ne pas séparer les deux sœurs et de les laisser ensemble faire leur année de crèche tranquille, sans rajouter encore un bouleversement en cours d’année. Un peu de stabilisation, un certain équilibre affectif à retrouver avant de les chambouler encore. Est-ce si terrible de privilégier leur équilibre affectif ?

J’ai donc expliqué à ma chère belle-maman à quel point je trouvais beaucoup plus essentiel de voir ma fille rentrer à l’école en septembre parfaitement équilibrée plutôt que douée pour faire de belles phrases ! Par la même occasion j’en ai profité pour lui dire que j’en avais un peu marre qu’elle compare ma fille à tous les gosses d’à peu près le même âge qui forment son entourage ; que chaque enfant évolue à son rythme et que si l’un stagne sur certaines choses il sera en avance sur d’autres, et que tout cela s’équilibre au fil de leur évolution, que je ne cherchais en aucun cas à les mettre tous en compétition pour une entrée en première année de maternelle.

Chercher l’excellence et la perfection et le « en avance » à seulement 3 ans, sans prendre en considération l’affectif et l’équilibre de l’enfant à quoi bon ? Perso, je dirai que j’ai vu le résultat sur ses fils. S’ils s’en sortent très bien culturellement parlant et au niveau scolaire et de leurs connaissances en général c’est indéniable, mais côté émotionnel c’est un vrai gâchis qu’ils ont connu.

Je ne veux pas du même résultat pour mes filles. Il faut les deux : une tête bien faite et une confiance affective totale.

Mes filles sont désormais parfaitement équilibrées. Tellement équilibrées que ça fait 3 semaines que je suis partie et pas un seul jour elles ne m’ont demandée… Elles ont confiance dans mon jugement. Elles savent que je ne les confie pas à n’importe qui et plus que tout, elles savent que je vais revenir les chercher… Même si c’est dur pour mon petit cœur d’entendre que je ne leur manque pas, même si c’est un peu dur pour l’égo, c’est formidable pour elles… Elles peuvent tout vivre sans moi. Leurs chagrins, leurs joies. Elles peuvent s’amuser, rire, pleurer, se consoler, manger, dormir… Tout cela sans leur maman.

Quelle plus belle preuve d’un véritable équilibre que celui-là ?

Alors, oui, pour moi par rapport à cette avancée-là, l’excellence des phrases construites parfaitement me paraît bien dérisoire…

Et si le décalage au niveau du langage est visible ces temps-ci, j’ai confiance en ma fille pour savoir rattraper le temps qu’elle a « perdu » à la crèche cette année. Ce n'était pas du temps perdu, d’ailleurs. Elle a créé des liens avec sa sœur tout au long de cette année de partage de crèche. Elles ont pu compenser ensemble le fait que je ne sois plus là pour elles durant mes journées de boulot... Une belle année pour toutes les deux, la seule qu’elles partageront jamais… J’ai confiance en elle.

Vive toi ma puce, et je trouve tellement mignon que tu écorches encore le mot « fromage » en « chômage », tu as le temps d’apprendre ce mot-là, ma chérie. N’écoute pas trop ta mamou. Même si elle a raison, c’est vrai ce n’est pas le bon mot, mais ça viendra, quand tu seras prête à le dire, on s’en fout, ma toute belle… Ton papi, mon papa, m’a fait beaucoup rire quand je lui ai raconté cela. Il m’a dit de dire à mamou que je suis inquiète parce que tu ne sais pas encore extraire la racine carrée de 4, que j’ai beau te l’expliquer, tu ne comprends toujours pas !!!!

;o)

Pour la première fois de ma vie, j’ai tenu tête parce que intimement, je sais que j’ai raison. Pour la première fois de ma vie, j’ai pleinement confiance dans mon jugement !