Magazine Journal intime

Delirium tremens

Publié le 02 août 2008 par Willb77

Delirium tremens
Chapitre 15 :DELIRIUM TREMENS

Gérard posa sa main sur l’épaule de Johanna.

Je découvris une complicité tacite entre ces deux personnes que j’avais côtoyées tant d’années. Un langage silencieux compréhensible de eux seuls.

Je ressentis une pointe de jalousie pour ces rapports confraternels et commençai à imaginer un scénario.

Johanna et Gérard avaient eu une aventure mais Gérard était marié et sa femme soupçonnait une relation extraconjugale.

Alors qu’elle devenait insistante et de plus en plus soupçonneuse, Gérard et Johanna avaient convenu de prendre des distances « tu comprends j’ai deux enfants, je ne veux pas foutre leur avenir en l’air».

Je fus happé de mes réflexions en entendant des bribes de mots qui ressemblaient à « suce qui » et « désapé ». Deux paires d’yeux me détaillaient avec curiosité.Avais-je parlé à voix haute ?

Une gaffe de plus…mais non, mon cerveau m’avait encore abusé.

C’était Gérard qui m’interrogeait :

« Tu as su ce qui c’était passé la semaine dernière »

Ravi de cette confusion, je lui répondis :

« Non quoi ? »

Il s’empressa de me raconter que Tom et Gil, les « créas » comme nous les appelions s’était laissé enfermer au siège un soir et avait badigeonné l’ensemble de l’étage avec de la peinture pailletée.

Je l’encourageais à poursuivre, amusé et heureux d’orienter mes pensées vers des contrées moins sulfureuses.

Tel que je connaissais les « créas », il n’avait pas dû s’arrêter à un simple acte de vandalisme primaire.

Gérard reprit son récit avec force détails et mimiques de conspirateurs

« ouais, y zont vidé des pots de pentures dans tous les bureaux, y compris celui du boss. Il était vert quand il a découvert le carnage le lendemain. Y parait qu’il a viré toute l’équipe de gardiennage du soir, les traitant d’incapable et de fainéants écervelés ».

Je l’interrompis « Et tom et Gil ? »

« rien pour eux. Tu imagines. Ils avaient des revendications en fait.

-   quel type ?

-   à propos de la complexité de la boite

-   quelle complexité ?

-   y zont dit qu’ils ne cernaient plus la complexité de la boite et voulait partir.

-   non !

-   et c’est pas tout. Leurs tags sont géniaux. Le stagiaire de la com a eu le temps de les filmer et les a mis sur son Blog

-   sérieux ?

-   affirmatif.

-   Qu’ont-ils inscrit de si spectaculaire

-   Des sous titrages

-   Tu plaisantes là.

-   Non connecte toi, tu verras. »

Il griffonna sur un post-it l’adresse du site que je recopiai dans le navigateur Internet.

http// :[email protected]

Johanna et Gérard m’encadraient (Johanna légèrement en retrait). L’un déjà hilare, l’autre concentrée.

Le site apparut. Le blog s’ouvrit sur un billet qui s’intitulait « drôle de monde ».

Une vidéo débutait. On reconnaissait aisément le faste du grand hall d’entrée de la boite.

Les images tanguaient à en avoir le mal de mer au moment où le cameraman franchissait les portiques de sécurité et empruntait l’ascenseur.

La prise de vue devait se faire d’un téléphone portable car les employés qui étaient monté ne prêtaient aucune attention à l’objectif. On entendait les conversations assourdies. Des têtes apparurent dans un flou gaussien puis des jambes sympathiques qui se terminaient par des talons hauts. Le vicieux devait savourer l’idée de se rincer l’œil plus tard.

Un chaos de sons et de couleurs parasités laissa place à une vision qui s’apparentait plus à une gare de banlieue qu’à un étage d’une société cotée en bourse.

On perçut un « ouhahou admiratif » alors que le zoom nous rapprochait de cet art pictural inédit.

Le mot « mur » recouvrait les murs. Le mot « moquette » recouvrait les moquettes. Le mot « bouton » les boutons des étages. Les chiffres étaient retranscrits en lettre.

Et cela se poursuivait jusque dans les toilettes : « miroir », « carrelage », « reflet », « moi », « toi », « iot », « iom », « eau », « balayette » et même « goutte » et « pipi ».

Un fleuve de consonnes, une pluie de voyelles, un océan de sous-titres. Partout.

Mettre un nom sur toute chose, c’était effectivement simplifier!

Un fou rire inextinguible s’était emparé de nous.

Cette bonhomie communicative emplit mon cœur d’une tendresse mélancolique qui accentua cette impression de fin d’époque.

Cette spontanéité ne ferait bientôt plus partie de la panoplie de directeur de branche qui m’attendait.

Je me surpris à songer que cet instant passionnel vécu avec Johanna révélait ce désir inconscient de croquer à pleine dent cette réalité insouciante et jeune et d’en garder des souvenirs impérissables.
Retrouvez le chapitre précedent ici ou refaites un tour du côté de la naissance des créas.
ET VOUS POUVEZ TOUJOURS M'ENVOYER VOS PROPOSITIONS DE PERSONNAGES A INTEGRER AU RECIT.


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