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Régis Lefort / Elle suivait le vent

Publié le 03 mai 2022 par Angèle Paoli
Régis Lefort /  Elle suivait le vent

Dans l'élégance du galop, elle formait le rythme
total, nouant son âme à la langue harmonique. Au contraire
d'un chant vibratoire, elle devenait l'absente de tout chant,
à la fois suave et élémentaire. Elle insufflait dans la pensée
une pureté expansive qui gagnait l'infini comme l'arabesque
éternelle. Son pas chorégraphique élargissait le désir par le
milieu des côtes, au point où le sternum rencontre le plexus
solaire. Le poumon ralentissait, la voix baissait à la onzième
syllabe du chant, l'apaisement allait vers la dissolution des
peines. L'incorporation devenait ainsi lumineuse jusqu'à
l'acquiescement. La danse chevaline se métamorphosait en
espace silencieux, courbé dans ses angles par la douceur
lyrique. Pas une lueur d'orage n'aurait pu enfreindre sa loi.
Fleur intuitive du mouvement, elle s'élançait à nouveau,
fidèle à la mélodie de la terre. Tout s'équilibrait de l'instinct
foudroyant et du bégaiement.


Elle parcourait l'immensité. Toute l'immensité. Celle
des forêts et des plaines désertes. Celle du cœur et celle de
l'âme. Parfois, elle oubliait sa solitude caressant le tronc.
d'un arbre jeune et frêle. Parfois elle se cognait à la plus
dure loi. Ce qui heurtait le pas musical de la bête avec
laquelle elle faisait corps ressemblait à la ronce des voyelles.
C'était un goût âpre sous la langue à mystère. On ne
pouvait que s'y prendre la gorge et éructer. Elle parvenait
toujours à s'en extraire. Elle retournait aux vierges contrées
où le chant est comme l'éveil enthousiaste du jour sur la
blancheur des nénuphars. L'éclat du son encourageait au
galop. Il rythmait le paysage jusqu'à la dénudation. Elle
pouvait y lire la douceur évanescente des senteurs sauvages
et accrocher à son front la fleur spirituelle. La liberté venait
dans son regard et son souffle rejoignait, animal, les
naseaux fumants lancés droit devant à toute allure.

Née dans le vallon originel où poussait la fleur
ancestrale, la fleur hermaphrodite, elle portait en elle
l'énigme inexplorée de la nuit et la fugue inaltérable de ses
eaux profondes. Son pas antécédent se prolongeait jusqu'à
la roche corrosive, ce lieu aléatoire où verse le temps et se
mêlent les forces inexpliquées. Son langage inaugural serrait
l'octave dans le centre de haute énergie, à l'endroit imprécis
du cœur ou du poumon. Il contenait son idéal et sa ruine.
On y éprouvait aussi bien la perte que le bonheur. La
réfraction articulaire amplifiait la présence de sa voix tout
en tenant secrète son origine. Elle était l'âme du
mouvement où se dissout l'identité. Aussi les bords de mer
ressemblaient-ils, par l'ampleur et l'immensité, à la forge
naturelle, bienfaisante et destructrice à la fois car rien ne
survient qui n'engloutisse la beauté en y déposant un peu
de rouille aléatoire. Le plus beau chant contient sa peur.

Régis Lefort /  Elle suivait le vent

Régis Lefort, Elle suivait le vent, Couverture de Roger Van Rogger, " Gouache tantrique ", Photographie d'Alain Andreucci, La Tête à l'envers 2022, pp.30, 31, 32.


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