Après avoir décidé d’acheter un terrain plutôt qu’une maison, nous nous tournâmes vers le sud, plus joli et plus abordable que le nord. Dans le sud, on peut trouver des terrains à 16,000 Rs le mètre carré (diviser par 100 pour l’équivalent €), voire moins, tandis que dans le nord, on est plutôt à minimum de 26,000 Rs, et à une moyenne de 100,000 Rs dans certains endroits comme Assagao où les prix sont particulièrement vertigineux depuis que le village a été pris d’assaut par les Delhiites, lui valant le surnom de « Little Delhi »).
Un agent immobilier très sympathique nous trouva deux terrains correspondant en partie à nos envies : environ 1000 mètres carrés (pour être sûrs de ne pas être envahis dans un futur plus ou moins proches), un puits et quelques arbres (les locaux n’aiment pas trop les arbres et la pelouse, qui abritent toute sorte de faune malvenue). Nous fîmes valider les papiers du premier par un avocat – une étape nécessaire à Goa car beaucoup de Goanais sont partis vivre à l’étranger et n’ont pas légué leurs propriétés correctement, ce qui donne lieu à de nombreux litiges, et de nombreuses propriétés à l’abandon. Selon un recensement de 2014, une maison sur cinq à Goa serait inoccupée ; selon un autre de 2011, il y aurait 125 000 maisons abandonnées. Il y a peu d’offre car de nombreux terrains / bâtiments n’ont pas de « clear papers » ou même « crystal clear papers », beaucoup de triche (certains n’hésitant pas à vendre des terrains qui ne leur appartiennent pas), et peu de conversion des terres agricoles en terres résidentielles, ce qui n’est peut-être pas plus mal quand on voit ce que la construction consomme d’eau pour des lieux où les gens ne comptent même pas vraiment habiter…
S’ils émigrent depuis le 16ème siècle, les Goanais ont commencé à partir travailler dans les pays du Golfe dans les années 1970, en quête de pétro-dollars. Et puis vers l’Occident – dans ce cas-là, la migration est souvent permanente ; et même encore aujourd’hui, le « retour au pays » reste un mythe (Brenda Coutinho, 2018). Il y avait au début du millénaire environ 80 000 Portugais d’origine indienne (ou en tout cas possédant la carte OCI, anciennement PIO, qui a été délivrée à 6 millions de personnes en tout) ; 90% d’entre eux auraient atterri au Portugal depuis les anciennes colonies lusitaniennes d’Afrique et ils sont surtout d’origine goanaise et gujarati. Tout Indien né dans un territoire anciennement colonie du Portugal (Goa, Daman, Diu, Dadra, Nagar Haveli) peut demander la nationalité portugaise s’il est né avant le 19/12/1961, ou si ses parents, grands-parents y sont nés avant cette année-là. En 2021, 2 835 Goanais auraient changé de nationalité, et 1 265 en 2022 – sachant que la population locale est estimée à 1,5 millions d’habitants, plus de la moitié n’étant pas d’origine goanaise. 25% sont catholiques, 66% hindous, 8% musulmans. Hors agriculture et surtout tourisme, les jobs ne courent pas encore les rues de Goa et beaucoup sont allés tenter leur chance ailleurs, et ne sont pas revenus. Laissant de nombreux terrains à l’abandon.
Pour revenir à mon histoire, l’avocate trouva une hypothèque vieille de soixante ans, les propriétaires d’alors ayant emprunté de l’argent à un prêtre. Il nous fallut alors chercher ce qui était arrivé à cette hypothèque – selon la loi, elle s’annule automatiquement au bout de trente ans SAUF si quelqu’un trouve des papiers et peut prouver qu’il n’avait pas connaissance de l’hypothèque, les trente ans se mettant à courir à partir du moment de la découverte. Nous trouvâmes alors le testament du prêtre, le fîmes traduire du portugais à l’anglais. Il mentionnait la liste de tous ses biens, ce qu’il donnait à chacun et précisait que si les membres de sa famille avaient besoin de fonds pour s’occuper de lui dans ses vieux jours, ils pouvaient s’adresser aux gens qui avaient des dettes auprès de lui, dont le propriétaire de notre terrain. Mais rien n’indiquait clairement le sort de ce sol.
Le deuxième terrain était encore mieux, à dix minutes à pied de la plage et l’annonce précisait qu’on y entendait le « son des vagues ». Je trouvais ça un peu bizarre mais il est vrai qu’un son ressemblant à un bercement se faisait entendre. Le temps que l’avocate regarde les papiers, je montrai l’endroit à une ou deux personnes, histoire d’avoir une autre opinion. Cette histoire de « son des vagues » me travaillait, la mer étant quand même un peu éloignée et puis ça n’avait pas le mouvement des rouleaux. En marchant jusqu’à la mer, j’identifiai alors la source du bruit, beaucoup moins romantique que le ressac : le générateur d’un hôtel cinq étoiles. J’en aurais pleuré…
À suivre…