James Sacré | Une fin d'après-midi continuée | Trois livres "marocains"

Publié le 16 septembre 2023 par Angèle Paoli

<< Poésie d'un jour   

                                                                                                                                                               

   

JAMES SACRÉ : Source 

      Quelqu’un m’a conduit dans ces paysages. Viens, dit sa
voix en ajoutant parfois les syllabes d’un prénom. Viens !
Et le voyage est aussi bien dans les champs, ou des endroits
d’une ville, que dans l’amitié de cette voix.
      Viens. Et c’est par exemple entre un village comme nulle
part (l’infini du ciel, ses maisons qu’on ne voit pas dans les
enclos de cactus) et la ligne au loin d’une forêt, c’est dans
un grand espace de pré qui va jusqu’à des collines où se
continue la couleur verte de l’herbe. On y passe son
propre silence, et l’inquiétude qu’on pourrait avoir s’y trouve
reposée à cause d’un sentiment d’y être enfin seul en même
temps qu’on y découvre plein de présence, et de la vie qui
accompagne sans rien dire de trop ; les gens, les animaux,
comme l‘air et la couleur du paysage. Presque rien mais
l’ampleur fragile du monde.
       Quand on arrive à la forêt je voudrais que ça soit comme
au bord d’un nouveau poème. Viens (j’entends le bruit de
n’importe quel autre prénom que le mien).

                                    *

          D’une certaine façon on voudrait précipiter la rédac-
tion du livre, comme si d’attendre trop menaçait de l’oubli
beaucoup de choses qui sont déjà sa présence dans le désir
qu’on a de l’écrire.
         Mais on sait bien qu’il faudra terminer ce livre, qu’un
jour on le laissera pour un autre : on imagine alors de la
lenteur, longtemps. Attendre

         Ce serait peut-être pour mieux porter avec soi et dans
les mots
         Ce qu’on oublie parmi ce qu’on n’oublie pas.

         On ne peut pas savoir.

         Le livre se fera avec ces emportements bousculés du désir
        Autant qu’avec la peur d’aller trop vite à travers tout
ce qui va rester dans le silence.

         Rien de grave à vrai dire. Le simple constat qu’on ne
sait pas comment ça doit s’écrire un livre. Sans doute parce
qu’on ne sait pas mieux

        À quoi ça peut servir.

       Un livre comme du temps qu’on va passer avec le mot
vivre
        Dans l’ombre du mot mourir.

                          *

Tu peux tout dire a dit la voix ;
Et tout ce qu’on allait dire
Est déjà dit. Il n’y a plus
Que le temps qui vient. Le temps qui vient
Comme en plus.

James Sacré, « Viens, dit quelqu’un » in Une fin d’après-midi continuée, Trois livres « marocains », Postface de Serge Martin,
Tarabuste Éditeur, pp. 125,126,127.

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