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Emmanuel Moses | Motets | Lecture d'Angèle Paoli

Publié le 18 septembre 2023 par Angèle Paoli

Emmanuel Moses, Motets,
Dessins de Samira Serghine
Editions Al Manar 2023
Lecture d’Angèle Paoli

Motets.JPEG

À bas bruit

Dernier ouvrage récemment publié aux éditions Al Manar, les Motets d’Emmanuel Moses sont une œuvre dans laquelle la voix singulière du poète atteint son acmé. Le poète réalise dans Motets une alliance  où se dit l’aspiration hautement spirituelle qui est la sienne et néanmoins profondément humaine.

D’inspiration musicale et testamentaire, les poèmes croisent et conjuguent dans un équilibre parfait le sacré et le profane. Composé de poèmes titrés, brefs dans l’ensemble mis à part le long poème central intitulé « Surface noire », le recueil est accompagné, en écho, de trois dessins de Samira Serghine, « artiste émergente maroco-hollandaise. » Les deux premiers dessins, deux visages de femme, encadrent les motets – dix en tout – librement inspirés par les Psaumes de David. De 1 à 9 puis 24-26. Le dernier dessin, qui clôt le recueil, présente un couple. Et le dernier poème, qui lui est peut-être consacré, énonce une éclaircie, parfois battue en brèche en amont :


« Et le silence formait au-dessus d’eux un ciel immaculé. »


Les dessins de Samira Serghine offrent une cartographie de ce qui se dit dans les poèmes. Une sorte d’assemblage où l’on peut lire, parmi les traits, lignes et feuillages qui traversent la page et forment le décor, des pans de textes en hébreu. On peut y décrypter, dans une lecture inversée, certains mots. « Safar / Safer ». Raconter, énumérer, faire connaître, dire. Ou encore « Miy » : qui, de qui, lequel… Sur le second visage - de face - on peut lire le mot « EENHOOR » qui signifie « Licorne » en néerlandais. Mais il ne me semble pas que cette créature médiévale et légendaire ait une valeur symbolique dans la Torah. Elle n’est d’ailleurs pas mentionnée sous la plume du poète.
En revanche les dix premiers poèmes du recueil, regroupés sous le terme « Motets » sont présentés par Emmanuel Moses comme une « Composition sur quelques psaumes ». Il s’agit donc d’un psautier, emprunté au premier livre des psaumes (1 à 41), dont l’esprit reprend celui des psaumes de David, dont il est dit qu’ils sont les plus anciens qui soient connus. Psaumes et motets se rejoignent ici, dans leur fonction poétique chantée et religieuse. Le lecteur/la lectrice retrouvent dans ces poèmes de forme brève (quintils/sizains/septains) des formulations, répétitions, refrains et images imprégnés de la Torah mais aussi des allusions à l’histoire des Hébreux. Ainsi du psaume introducteur qui reprend par trois fois l’expression originelle « Jour et nuit » et rythme le poème pour dire l’égarement du locuteur :

1.
Jour et nuit
Jour et nuit
J’étais planté près des ruisseaux
Et la voie autour de moi s’est perdue
Jour et nuit.

D’emblée le poète exprime son désarroi qui est aussi celui, ancestral de son peuple. Le peuple de Moïse à la sortie d’Égypte. La rencontre de Moïse au Mont Sinaï :

« Ceux qui l’entendent ne se couchent plus
Ne s’endorment plus
Ils redressent la tête et attendent la bénédiction. » (3.)

Quelque chose pourtant semble s’être perdu en lui et son égarement n’est pas seulement physique. Il est beaucoup plus profond que cela. Les manifestations des hommes envers leur Dieu ont cessé. Avec des mots simples et poignants, le poète évoque sa propre traversée du désert qui le confronte à l’angoisse, au mensonge (la croyance dans les idoles ?) mais aussi à la prière :


« J’aimerais que mon cœur parle
Que la lumière du jour se fasse voir sur mon visage
Que la joie me soit froment et vin d’abondance. »

Ainsi les motets – psaumes – oscillent-ils, tantôt exaltant avec ferveur l’accueil que procurent la maison et l’arbre, tantôt dénonçant avec émotion l’ingratitude de l’homme et la peur qu’elle alimente :

« Os du vent, os de l’âme
Tout est bouleversé !
Un œil rongé fixe le monde
La vie à bout de force prend voix
Pas à pas se tendent les larmes
Recule le souvenir jusqu’à la mort du souvenir. (6.)

Tantôt dénonçant la violence des hommes, leur goût pour les mots trompeurs et les mensonges illusoires, sources d’angoisse et d’erreurs. De destructions dont les hommes sont responsables :

« Qui racontera parmi les peuples
Le récit, la sentence, le jugement ? »

Tantôt au contraire remettant son espoir dans la « comptine » d’un enfant.


Il y a un avant, lorsque celui que l’on ne peut nommer était encore sans nom, il y a un après. C’est avec l’avènement de cet après que l’oscillement a pris place dans l’Histoire humaine. Comme il est écrit dans le poème «Surface noire »:

« L'Histoire devenant ainsi
la scène où Dieu s'exprime
le théâtre de Dieu »

Histoire qui alterne entre angoisses et tendresses. Violences et espoir. Le poète, lui, est pris dans ce balancement qui lui fait regretter un temps qui n’est plus et se tourner vers l’aujourd’hui. Malgré les massacres qui exterminent les peuples, malgré le bruit et la fureur qui jouent leur sérénade en sourdine, la vie continue. Les amants se retrouvent dans ce beau poème qui clôt le recueil des Motets :

« On tue ce soir à bas bruit dans les steppes d’Asie
Les amants s’unissent ce soir à bas bruit ici et partout
Les solitaires et les ivrognes rentrent ce soir chez eux
à bas bruit par les rues sombres
Et toi, moi, nous attendons ce soir que la porte s’ouvre
à bas bruit. »

La vie reprend sous ses formes diverses, amour, écarts amoureux, portraits, poèmes dédiés à des êtres chers (Michel Deguy, le Père Giles, Marie) et à l’Ukraine meurtrie. Autant de signes qui replacent l’être et le poète dans sa relation avec l’autre, jusqu’au cœur de la solitude et avec elle :

« La solitude est déjà relation
Sans relation il n’ay aurait guère de solitude
Je crée mon monde, ma vie en solitaire
Dans le regard de l’autre où qu’il soit… ». (in « L’arbre de vie »)

Mais toujours le poète tisse ses poèmes avec la parole du Livre. À bas bruit.

« Écoute et souviens-toi »

Ou encore

« Je t’ai vue, lumière !
Tu étais là de toute éternité. »

Un recueil de poèmes  qui se lit comme un murmure. Qui se vit comme une prière.

ANGELE NB

 Angèle Paoli / D.R. Texte angèlepaoli


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