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Luce Guilbaud | Une leçon de présence | Lecture de Caroline Meunier (Calou Semin)

Publié le 22 septembre 2023 par Angèle Paoli

Luce Guilbaud, Une leçon de présence
Éditions Al Manar, 2023
Lecture de Calou Semin

LUCE GUILBAUD

Ce recueil est dédié à « Louis,

l’absent définitif ».

————

 une histoire d’amour c’est sans fin…
même sans toi.

Luce Guilbaud choisit ici (ou serait-ce la vie elle-même qui choisit pour elle ?) de faire accompagner sa douleur par la figure tutélaire de l’arbre, des arbres, tous les arbres, les forêts, et par extension le végétal et le jardin. Le chagrin taraude, lancinant. Parfois c’est lui qui a le dessus. Parfois il se fait plus léger pour que transparaisse cette attention à la vie immédiate, au présent qui ancre vraiment ce recueil et nous transmet  une leçon de présence .
Même s’ils sont indifférents en fait (« Les arbres n’ont que faire de tes questions »), ils accompagnent vraiment, au fil des saisons, son désarroi et son cheminement, hautement porteurs qu’ils sont d’une énergie vitale que la poète choisit d’entendre parce qu’elle est toujours là, première, et qu’elle doit le rester.
————                 une vie presque entière dans les forêts.
ta mort près de l’érable.

La poète arpente ses souvenirs, les jours et l’espace alentour.

« le doigt entre la peau et l’écorce je cherche les essences
de la vertu aux quatre saisons

         je m’endors       je dors      je meurs un peu »…

La forêt du présent se mêle parfois aux forêts tropicales de jadis, ayant sans doute accompagné la naissance et l’épanouissement de l’amour.

« Le soir bleuit verdit se nuance de pluie …

la nuit très vite »

Au fil des jours et des saisons, l’arbre, formidable (et universelle ?) métaphore de l’être, veille. Il ne s’agit pas d’un simple décor, mais du support premier à la sensation de vie et de présence autour. Aussi l’ensemble du recueil se trouve-t-il en résonance parfaite avec la belle citation de Roberto Juarroz mise en exergue et qui lui donne son titre.
Il n’en demeure pas moins qu’« Éros lui a rongé      rouge     le cœur entier ».
La perte est irréversible, majuscule, et

« non       la douleur ne sera pas guérissable
                l’écorce simplement recouvrira la plaie »

Cependant, et brièvement, elle pourra s’alléger, disparaître presque parfois dans l’attention au présent et la volonté que réaffirme l’auteure tout au long du recueil :


« Le temps est au présent indéfini…
                        Je reste seule responsable des bourgeons… ».
Les arbres sont et seront toujours là pour l’aider à aiguiser cette attention au présent qui permet de rester en contact avec la vie.
Il ne faudrait pas croire que ce cheminement est facile, ou linéaire : d’où l’importance des décrochements, des blancs très fréquents, et des silences, ici souvent matérialisés par de nombreux tirets longs et bas (Il est d’ailleurs très difficile, voire impossible, de rendre compte avec exactitude de cette présentation sur la page).
Quand survient une trop grande peine, il faut

« Attendre sans bouger
dans la cave de la bouche
que la matière des mots prenne forme ».

Alors revient la possibilité d’agir, un petit peu, à sa mesure :

« J’écris le mot ———— forêt

J’écris le mot ———— forêt
j’écris
            pour le mot ————éclaircie ».

La poète écrit, et peint. Ici, dans des tons assez sombres des œuvres qui accompagnent et donnent une certaine lumière, tamisée mais réelle, au recueil.
Car la détermination à chercher l’éclaircie est la plus forte :

« Je voudrais m’enraciner peu à peu
dans la seule certitude       d’être
                      au présent »

La voix narrative veut

« marcher encore ———— marcher
           le souffle court      les aveux        les regrets ».

Et même s’il semble parfois qu’

« au bout du livre l’air est glacé
nous aurons atteint les lisières »

« Tu voulais que le mot forêt éclate enfin et disperse ses graines
.....................

jusqu’à la mer. »

La vie et la volonté peuvent aller au-delà du chagrin, nous enseigne-t-elle.
C’est ainsi qu’il lui sera possible d’

« Encore aimer par regard intérieur
et sourire d’encre douce
par rose trémière vigilante et rosier obstiné »,

élaborant par touches successives un chant d’amour magnifique, tout en nuances, qui n’occulte pas les difficultés et les doutes, et qui culmine de manière saisissante avec ces derniers vers donnant voix à l’aimé , et qui s’entendent de loin.

Calou Semin

Moton185

■ Luce Guilbaud
sur Terres de femmes ▼
[L’ombre amoureuse] (extrait de Débordé pourpre)
→ Demain l’instant du large (lecture de Sylvie Fabre G.
→ [Le haut le bas l’envers l’endroit] (extrait de Demain l’instant du large
→ [il y a eu des pluies] (extrait de Nuit l’habitable)
→ Mère ou l’autre (note de lecture d’AP)

→ [Mon enfance] (extrait d’Où la chambre d’enfant)
→ [les ombres envahissent] (extrait de Pas encore et déjà)
→ [mon père m’offre des animaux] (extrait de Vent de leur nom)
→ Danielle Fournier | Luce Guilbaud, Iris (note de lecture d’AP)
→ Danielle Fournier | Luce Guilbaud, Iris (extrait)
→ Danielle Fournier | Luce Guilbaud [Dis-moi plutôt ce qui nous réunit](autre extrait d’Iris)
→ Luce Guilbaud ou la traversée de l’intime (chronique de Marie-Hélène Prouteau)
→ (dans l’anthologie poétique Terres de femmes) Le corps penche
→ Luce Guilbaud | Une leçon de présence

■ Voir aussi ▼
→ (sur le site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique sur Luce Guilbaud
→ (sur le site de la Maison des écrivains) une fiche bio-bibliographique sur Luce Guibaud

Voir aussi:

Caroline Meunier | Calou Semin

Pierre Dhainaut  | Caroline François-Rubino
   L’art des nuages, Éditions Voix d’encre 2023, lecture de Calou Semin


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