D’une rive à l’autre| Quand les poètes traduisent les poètes
Direction Marie-Christine Masset
Éditions Tituli 2023.
… « et ça restera prisonnier des mots que je mettrai à la place des vôtres… »
D’une rive à l’autre. Un beau titre pour évoquer l’acte de traduire. Pour s’interroger sur le passage. Celui d’une langue originelle à une langue d’accueil. Publié par les éditions « Tituli », l’ouvrage a été mené par Marie-Christine Masset. On doit à la poète, traductrice des Aborigènes d’Australie, Le Versant noir, traduction des poèmes de Kevin Gilbert. Cet ouvrage a été publié en 2017 aux éditions du Castor Astral. « Subjuguée et intriguée par ce qui repose et œuvre dans un livre traduit », Marie-Christine Masset s’est tournée vers les poètes. Vingt-et-un poètes, interrogés sur leur expérience de la traduction sont ici rassemblés par ses soins sous l’intitulé second : « Quand les poètes traduisent les poètes ».
Ainsi entre-t-on dans l’univers multiple de la traduction. Multiple, car il y a autant d’approches de la traduction qu’il y a d’écritures poétiques. Autant de sensibilités différentes que de manières d’être au monde dans le rapport que chacun entretient avec son semblable et avec la poésie. L’ensemble donne l’impression d’un kaléidoscope mouvant dans lequel se déplacer est à la fois très singulier et fascinant. Singulier parce que le lecteur passant d’un poète à un autre passe en un rien de temps d’une galaxie à une autre, laquelle n’a souvent que peu de choses à avoir avec la précédente. Mais aussi déconcertant, comme peut l’être un poème ou une écriture qui déplace les frontières intimes de tout lecteur. Fascinant, parce que le recueil offre un voyage inédit, une traversée au long cours, à travers mondes mots images perceptions approches méthodes. Et la lectrice de voyager ainsi, d’un univers poétique à un autre, lequel est alimenté par des lectures, elles aussi multiples, et de naviguer de découverte en découverte. Chemin faisant, chaque poète, traducteur et traductrice, livre une part précieuse de lui-même. Ainsi les textes proposés ouvrent-ils sur des formes diverses. Témoignages, histoires personnelles et biographiques, expériences et démarches, approches analytiques et comparatives, motivations et perspectives. Certains textes, difficilement classables, échappent cependant à des catégories littéraires bien définies, davantage proches de l’imaginaire et de l’écriture poétique. Ainsi des « Miroirs de l’âme » d’Andrea Moorhead, succession de courts paragraphes dans lesquels la poète entretient avec la personne qu’elle traduit de mystérieux conciliabules:
« Comment distinguer votre parole du bruit ? Vos mots-cailloux, vos mots-crépusculaires comme des cailloux précaires. Le son percutant de vos phrases, le fracas de votre bataille me mènent loin de vos poèmes. Nous sommes dans une clairière anonyme. Ni vous ni moi n’osons parler. Ni vous ni moi ne serons capables d’exprimer notre joie… »
Une fois ouverte « la boîte de Pandore », le monde de la traduction offre ses inépuisables facettes.
Après s’être livré à « une lugubre diatribe » sur les failles profondes liées à la traduction de la poésie, Antonio d’Alfonso écrit que « le traducteur est l’interprète de l’inconnu, un voyageur dans le temps, un voyageur des langues et des pays. » Puis il ajoute : « Traduire, c’est voyager dans l’esprit du mot. » De sorte que traduire, c’est aussi voyager à la rencontre de l’Autre, de ce qui l’anime au plus profond et qui est souvent lié à l’enfance des mots. De son côté, Nathalie de Courson confie d’emblée : « L’espagnol est pour moi une langue de rondes, de saut à la corde, de prières enfantines qui me faisait réciter Marie Nieves avant de m’endormir : Angel de la guarda/ Dulce compañía / No me desempares /Ni de noche ni de día… ("Ange gardien/ Douce compagnie/ Ne m’abandonne/ Ni de jour ni de nuit…") ». Langue originelle, langue maternelle, langue natale. Au plus près de l’enfance. Pour Cécile A. Holdban, poète hongroise exilée en France, traduire a correspondu à un besoin vital. Celui, écrit-elle, « de revenir à ma langue natale, véritablement maternelle. Et traduire ces poèmes de Sándor Weöres qui ont tant bercé mon enfance, ce fut pour moi comme le retour de l’enfant prodigue vers le berceau de la langue. »
Avec la maturité, le passage par l’enfance se transmue souvent en expérience plus profonde, liée au dépassement de soi. Qui est aussi ouverture vers l’Autre, différent de moi, et dont j’ai à apprendre et à découvrir. Cet « Autre » prend une place vitale dans le travail du poète André Ughetto, traducteur des poètes italiens Francesco Petrarca et Piero Bigongiari : « Il est la condition » de son « progrès – intellectuel et spirituel. »
Dans l’itinéraire qu’elle livre d’elle-même, la poète roumaine Sanda Voïca évoque sa triple passion : LIRE ÉCRIRE TRADUIRE. Une trilogie indissociable aiguisée par la curiosité qu’exerçaient sur elle les traductions qu’elle se procurait, puis par la recherche exigeante des versions originales : « pour chercher "le manque" - l’absence la " présence" ailleurs - le lointain- pour me l’approprier ». Ainsi a-t-elle procédé pour traduire Georg Trakl, Garcia Lorca (espagnol-roumain devenu espagnol-français). Et Sylvia Plath. Toujours en s’aidant de l’original et de la version en langue roumaine. « Par besoin de … vrai, d’original, d’aller à la source. De complétude. »
Pour Jean-Baptiste Para, « Traduire un poème est à chaque fois une expérience neuve. Même si l’on a déjà une longue pratique, même si l’on n’est pas novice. Chaque poète, chaque poème nous expose à quelque chose d’absolument nouveau qui nous reconduit à un état de nudité : on se sent démuni, et c’est dans cette condition qu’il nous faut trouver le chemin. On ne peut guère s’appuyer sur des acquis, peut-être même doit-on complètement les oublier. »
C’est aussi mon sentiment. Lequel est poussé jusque dans ses extrêmes par Georges-Arthur Glodschmidt, cité en exergue par Alain Fabre-Catalan : « D’être traduit, le même devient autre. »
Tenté lui aussi par l’expérience de la traduction du poète Georg Trakl, Alain Fabre-Catalan livre sa pensée dans un long texte que domine la métaphore filée de la barque. Texte où la lectrice se perd, pour son plus grand plaisir, dans les méandres qui la font basculer dans la poésie elle-même : « Le poème s’égare, à mesure s’invente, suspendu à cet autre rivage, ultime déraison dans le bleu coupant de l’air, une phrase s’achève au feu des lèvres, forgeant l’attente d’un visage échappé de mémoire. » Le poète se perd lui aussi dans ce hors temps de l’écriture, se laissant dériver dans un entre-deux qui le plonge dans le souffle ininterrompu de l’autre langue:
« Le monde est sans retour, d’une rive à l’autre du fleuve poussant la barque comme à contre-sens, le poème retiré, lui seul touche à sa fin… »
Ou encore : « Ce que j’écris se perd, me reste inconnu comme la première neige qui jalonne la route – née d’un lointain désaccord dans la perte des syllabes, l’enfance soudain aveugle le jour. »
Et aussi : « Écrire, traduire, aller d’un bord à l’autre entre les rives d’un fleuve qui se perd pour renaître comme autant de résurgences, c’est déplacer les limites de la saisie des signes pour vérifier qu’il existe une faille entre les langues dans laquelle les mots s’abîment et finissent par se rejoindre dans leur commune étrangeté, au-delà de la clôture des significations établies. »
Une autre métaphore sillonne les pages de ce recueil. Celle, fascinante et originale, de la baleine. Sous la plume alerte de Jean Portante, l’énorme cétacé se fait équivalence de la traduction : « La traduction est une baleine impatiente ». Tel est la définition annonciatrice de la réflexion du poète italo-luxembourgeois. Dont le propos, par le biais de cette métaphore, est de rapprocher « frontière » et « migration ». La figure de la baleine a permis au poète de façonner un mot-valise qui le guide dans son écriture et l’accompagne en permanence : le mot « d’effaçonnement », lequel combine, en un mouvement complémentaire et simultané (hélicoïdal, peut-être) l’effacement - de l’auteur - et le façonnage - du traducteur. Dans l’acte de traduire, « il n’y a pas seulement ce qui s’en va, mais également ce qui vient. » Quant à la baleine, symbole de la migration permanente et de la traversée des eaux sans préoccupation des frontières, elle est « celle qui nage dans tous mes livres. » Confie le poète. « Celle, même, qui m’a donné ma langue. » Pour Jean Portante, fils d’émigrés italiens, « la traduction est une migration. Un voyage. Et donc un passage de frontière. » Et le poète de s’interroger sur la migration d’une langue à l’autre, celle d’avant et celle d’après, comme il s’interroge aussi sur les raisons qui ont poussé jadis la baleine à quitter le sol de la terre ferme pour se lancer dans d’infinies migrations marines. De « l’effaçonnement » d’un mammifère terrestre au façonnage d’un cétacé marin, lequel n’est pas un poisson. Un très beau texte qui mérite à lui seul d’être médité, lu et relu, tant il est riche de références littéraires, lectures et images, d’analyses.
Toute autre est, me semble-t-il, l’approche du sinologue Guilhem Fabre, pour qui traduire les poèmes de Liu Xiaobo - « rescapé du massacre du 4 juin 1989 - relève d’une éthique particulière : « il s’agit de recréer au plus près l’effet du poème original et des émotions qu’il dégage, à travers une restitution des images et une combinaison des sens et des sons des mots, portée par une autre langue. »
La conception du poète québécois Pierre Nepveu rejoint en partie celle de Guilhem Fabre dans la mesure où, pour chacun d’eux, traduire s’ancre dans le politique. Pour le sinologue, réunir l’ensemble des poèmes de Liu Xiaobo, « composés sur vingt ans, en prison ou en liberté surveillée, de 1990 à 2009 » est une façon de perpétuer la mémoire des disparus au cours du massacre. Ainsi les Élégies du 4 juin rendent-elles compte de la circularité du temps et des anniversaires … et du silence qui l’entoure ». Mais pour lui, le traducteur se doit de visualiser au plus près les images de l’auteur, de pénétrer l’ensemble de ses sensations et de ses pensées, un peu à la manière d’un acteur qui revivrait la scène à l’origine du texte. Ici, dans les Élégies, la phase originelle est un massacre, avec, « en toile de fond » « un dialogue existentiel entre les vivants et les morts. »
Pierre Nepveu, qui pratique « la traduction à double sens, du français à l’anglais et de l’anglais au français », affirme quant à lui : « Traverser cette frontière qui sépare le français de l’anglais a donc forcément à Montréal une portée politique : à une logique de la confrontation et de la pure résistance répond une pratique de la circulation et du dialogue. » Et le poète de faire sienne la formule du poète martiniquais Édouard Glissant : « Traduire… c’est se mettre « en présence de toutes les langues ». Pour Jacques Rancourt, autre poète québécois, sa rencontre avec la poète américaine Leslie Ullman (Grenoble 1989), a été déterminante. L’apprentissage de la traduction des poèmes d’Ullman lui a permis de s’aventurer dans des territoires inconnus et d’explorer les structures des poèmes « longs ». D’abord déconcerté par la longueur des poèmes de l’américaine ainsi que par les « ruptures de strophe et ruptures de sens », il n’en a pas moins poursuivi son travail d’analyse et de réflexion. Travail bénéfique qui l’a conduit à se lancer à son tour dans l’écriture de poèmes « longs ». Dont « Le corps de l’âme », présenté dans ces pages, est un exemple. Fondateur en 1983 de la revue internationale de La Traductière, Jacques Rancourt écrit, dans « La traduction et ses traces » : « À traduire, le plus difficile n’est pas la langue, c’est la poésie. Et pour traduire celle-ci, il faut la sentir. Dans ce cas, sentir la vie interne d’un poème long ».
Traducteur de Lope de Vega, Ricardo Paseyro, Horacio Castillo, Leandro Calle, le poète Yves Roullière trouve dans les vers de Jean de la Croix, « la synthèse la plus parfaite de la poésie espagnole ». Parfaite parce que paradoxalement imparfaite. Tant au plan du sens que de la forme. Opposant à la continuité du vers pair français la discontinuité du vers impair espagnol, Yves Roullière propose la lecture d’une stance du poème mystique « Nuit noire », construit sur l’« endécasyllabe » (« par essence bancal, inachevé. »). Dans la poésie qu’il aime traduire, le poète dit choisir celle qui se rapproche de cette stance de Jean de la Croix. Ce qui lui permet aussi, dans ses propres poèmes, de jouer sur l’alternance des vers pairs (continuité française) et de la « discontinuité espagnole : joie éclatante et distorsion tragique entre espace et temps ».
Dans le témoignage qu’il livre pour le recueil D’une rive à l’autre, Nicolas Richard, traducteur français de romans anglo-saxons, s’interroge sur l’impact que la traduction de romans irlandais (Mike Mc Cormack) ou américains (Thomas Pynchon, Jack Kerouac/Allen Ginsberg…) a eu sur ses propres récits. La réponse n’est pas définitive. Elle varie en fonction des auteurs lus, lus et traduits. Et ce traducteur de plus de 70 auteurs anglo-saxons, de confier : « Ma langue, celle que je parle, celle que j’écris, se constitue par stratifications perpétuelles, circonvolutions imprévues. »
Pour Vénus Khoury-Ghata, qui se dit « atteinte de strabisme littéraire » (elle pratique elle aussi « la traduction à double sens », de l’arabe au français et du français à l’arabe), elle livre dans ce recueil un texte très bref mais drôle et plein d’humour. Selon la poète libanaise « Traduire revient à traverser les frontières entre deux langues comme entre deux pays, à payer une taxe, faite de manques et d’ajouts ».
Quant aux motivations qui poussent vers la traduction, elles sont elles tout aussi diverses. Pour Béatrice Machet « c’est le goût de l’impossible qui a motivé souterrainement [sa] décision de traduire les auteurs indiens contemporains ». Et la poète d’expliciter, comme le fait aussi Guilhem Fabre, la méthode qui a été la sienne. Sous la grande diversité de plumes et de sensibilités, la relation à l’autre semble être le point émergeant qui relie entre eux les textes du présent recueil. Maram Al Masri condense cette vision des choses dans une formule claire et précise, qui touche sa cible comme une flèche : « Être le pont qui relie les êtres, c’est le but de la traduction. » Lui vient alors en mémoire une formule anglaise qui la réjouit : « Tranlation is a kiss behind the curtain ». Et pour étayer cette formule la poète livre une savoureuse histoire d’amour … et trois poèmes écrits en arabe et en français.
On retrouve chez Cécile A. Holdban une image assez proche de la précédente qui fait du traducteur un passeur. Quelle est la motivation du passeur ? Sans doute y a-t-il autant de motivations que de traducteurs. Mais peut-être ces passeurs ont-ils eu « une volonté de transmettre une parole, une tonalité, une voix en laquelle ils ont reconnu la leur. » Et la poète d’origine hongroise poursuit avec cette image magnifique : « et sont ainsi devenus les voleurs du feu prométhéen de la langue. »
« Traduire c’est partager ce qui a nourri, porté, et consolé. »
On reconnaît dans le texte de Jeanine Baude, laquelle nous a quittés en 2021, le souffle de sa voix. Une voix de poète puissante, forte, musicale, marquée par les rythmes du jazz. Également passionnée par les arts plastiques, la voix de Jeanine Baude est accueillante à toutes les formes de créations et de langages. Emportée par son propre phrasé, nous n’en abordons pas moins à sa pensée, généreuse, bâtie sur l’ouverture. À l’autre, à son univers, à son histoire/Histoire. Pour la poète de OUI, la traduction est prolongement, partage, découverte d’horizons nouveaux. Et cela se fait dans la fascination et dans la joie.
Du texte très bref de Katia Belavina traductrice de Seyhmus Dagtekin, je retiens cette affirmation que je trouve tellement vraie : « C’est le texte qui nous travaille ». Et en réponse à la poète russe, les mots de Seyhmus Dagtekin : « Pour Katia, qui connaît l’autre versant des mots ». Un versant ombreux, fait de métamorphoses, de vertiges, de circonvolutions qui entrainent l’autre dans un espace inconnu où sombrent le temps et les choses.
Je terminerai ce papier, car il faut bien laisser encore à découvrir et à s’approprier, par le maelström dans lequel nous entraîne le très beau texte de Marilyne Bertoncini. Un texte vertigineux, construit sur des rebondissements multiples. C’est sous la plume de Marilyne que l’on trouve l’image ici exubérante de « la boîte de Pandore », accompagnée des sortilèges qu’elle délivre. Le texte prend la forme d’un « extrait de correspondance » dont l’interlocuteur est un certain W. La question qui vient d’emblée à l’esprit est la suivante : s’agit-il, comme dans nombre de récits littéraires d’une invention et d’un subterfuge ? Ou au contraire d’un échange épistolaire réel. Peu importe d’ailleurs, car la lectrice est embarquée dans un enchâssement de récits qui commence avec le Gordon Pym d’Edgar Poe dans la traduction de Baudelaire (on retrouve sous la plume du poète américain l’image du « rideau », différente cependant de celui de Maram al Masri), se poursuit dans la spirale du maelström. Laquelle s’empare de la lectrice dans une sorte de rapt, renversement ravissement qui la met en présence de l’Ulysse de Dante, descente aux Enfers, chute, tourbillons de mots et de sens qui conduisent droit sur l’Extase de Sainte Thérèse du Bernin, de là à La confession d’un masque de Mishima mis en présence du Saint Sébastien de Guido Reni. Autant d’exemples qui font se rejoindre érotisme et mysticisme. De quoi s’égarer à en perdre haleine, d’autant que dans cette tempétueuse évocation, la poète, prise dans les mêmes mouvements paradoxaux que sa lectrice, happée par les poèmes de W, se perd elle aussi dans le passage d’un cerveau à un autre, celui du poète qu’elle découvre et le sien:
« J’étais non pas dans la barque sur l’abîme océan, mais dans le gouffre insondable de votre cerveau, et non plus dans le mien. » … « si bien que je ne savais plus ce qui était de moi et ce qui vous appartenait : tout était mélangé- les mots que j’entendais, ceux qui apparaissaient sur l’écran, et ceux que je pensais, dans la langue où ils allaient naître et s’envoler dans l’infinie spirale où je me perdais… »
Poe Dante Bernin Mishima Reni Baudelaire Blanchot/ Pym Ulysse Sainte Thérèse Saint Sébastien, un texte qui interroge le transport, érotique et sensuel, violence et mysticisme, le caractère impudique et indécent, voire obscène, de s’introduire dans les mots de l’autre.
« N’y a-t-il pas quelque chose de profondément éhonté - indé/sens, dans le fait d’user des mots – les mots d’un autre – de les écrire, pour les faire passer dans votre langue, et en jouir tandis qu’on les traduit, dans le but de les donner à lire pour provoquer le plaisir d’autrui ? » interroge la poète.
La lectrice que je suis reconnait ici l’univers baroque de la poète et son écriture passionnée, laquelle en effet produit (chez moi) le plus grand plaisir. Alors oui, tant pis s’il faut en passer par le dépiautage la dénudation le « vampirisme linguistique ». Cependant je ne me souviens pas avoir jamais été en situation de transe autre qu’intellectuelle. Mais sans doute est-ce déjà beaucoup. Le plaisir des mots remonte très loin dans nos mémoires. C’est un plaisir solitaire et sensuel avant d’être un jour partagé avec d’autres. Ainsi les mots de Marilyne Bertoncini rejoignent-ils aussi en partie ceux de Cécile A. Holdban lorsqu’elle écrit, s’adressant à W :
« À l’intérieur/à travers vos mots, quand je traduis, je reconnais quelque chose qui est déjà en moi, quelque chose que j’ai toujours su, et qui sonne et résonne étrangement, parce que ce sont vos propres mots, c’est votre voix que j’entends et ressens de l’intérieur de moi – et ça restera prisonnier des mots que je mettrai à la place des vôtres… »
La phrase n’est pas finie. Elle poursuit son flux dans le prolongement de ce qui a été dit à mi-mots, avant de retrouver une tonalité plus conventionnelle qui remet sur la voie de l’échange épistolaire. Avec ce ça de la voix de Marilyne Bertoncini qui a capturé la mienne.
Angèle Paoli / D.R. Texte angèlepaoli
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MARIE-CHRISTINE MASSET
■ Marie-Christine Masset
sur Terres de femmes ▼
→ [Le chemin ne changera rien]
→ Visage natal
→ (dans l’anthologie poétique Terres de femmes) Rêve
■ Voir aussi ▼
→ (sur le site de l'Agence régionale du Livre | Provence-Alpes-Côte-d'Azur) une fiche sur L’Oiseau Rouge | The Red Bird