Par quelle mystérieuse alchimie nous sommes-nous liées d’amitié ? Est-ce notre commune détestation des petits matins où il faut se lever fatiguées pour courir à des rendez-vous ? Est-ce notre commune appréciation des longs moments passés à lire le New York Times, tranquillement attablées devant un petit déjeuner qui s’éternise ? A moins que ce soit notre intérêt commun pour la vie qui s’agite autour de nous lorsque, tranquillement attablées devant un Mint Julep ou une Caïpirinha, nous commentons en des termes acidulés les défauts et les travers de nos peuples respectifs, les Américains d’une part et les Français de l’autre.
Je l’ai rencontrée alors que j’effectuais un voyage aux Etats-Unis, invitée par le Département d’Etat à découvrir combien démocratique est ce grand pays. J’étais en compagnie d’un groupe d’Africains et nous devions aller d’est en ouest en suivant un fil conducteur : la lutte contre la corruption. Après une semaine à Washington, le groupe s’est séparé en deux, anglophones d’une part, francophones de l’autre. Bien que mon anglais soit approximatif, j’ai préféré me joindre aux anglophones car leurs destinations me semblaient plus intéressantes : Rhode Island, Oregon puis Louisiane. Mon amie américaine était la guide de ce groupe. Nous nous sommes donc rapprochées dès Providence, où nous avons pris ce fameux petit-déjeuner face à la mer, partageant en silence et sans hâte le NY Times. De toute évidence, nous avions des atomes crochus.
Elle a percé certains de mes petits secrets. Elle avait remarqué que, à chaque rendez-vous, j’ouvrais mon gros cahier bleu et écrivais, sans m’arrêter, jusqu’à la fin de l’entretien. En réalité, mes propos n’avaient rien à voir avec la qualité de l’orateur : j’en profitais seulement pour noter mes impressions et mes souvenirs de voyage. J’adore ce genre d’exercice mais il prend du temps. Quoi de mieux qu’un rendez-vous sérieux, avec tables et chaises, pour s’y livrer ? Mon amie américaine m’a dit un jour avec son fin sourire : tu notes beaucoup de choses, mais il me semble que c’est sans rapport avec le sujet, n’est-ce pas ?… Damned, j’étais découverte !
Grâce à elle, j’ai pu découvrir la Nouvelle Orléans en dehors du circuit, dans une délicieuse voiture américaine qui nous a baladées de plantations en plantations. J’ai appris l’histoire de cette ville magique, démoniaque et enthousiaste. Sa mère y était née, sa famille y vit toujours et c’est pour cette raison que j’ai été particulièrement attristée par les dommages causés par l’ouragan Katrina.
Mon amie américaine vient au moins une fois par an à Paris. C’est alors un délice de deviser avec elle. Nous échangeons quelques nouvelles du pays, puis nous nous racontons notre vie. Elle m’observe avec la bienveillance du paléontologue pour l’homme de Cro-Magnon et tente de m’expliquer comment la vie va, outre-Atlantique, et rigole de mon étonnement. Nos humours se rencontrent, nos plaisanteries se rejoignent et nous passons la soirée à rire, même des sujets sérieux. J’ai pour elle l’attention que l’on porte à un Martien fraîchement débarqué, je resterais des heures à l’écouter.
Mon amie américaine est mariée à un “problem solver”, un géant débonnaire qui a su m’éviter la dépression nerveuse en me conseillant avec bonhommie d’acheter un sac de voyage supplémentaire plutôt que de tenter de faire entrer dans ma valise le double de son propre volume. Les Français ne sont pas rationnels, voyez-vous… Ils s’obstinent inutilement !
Mon amie américaine a une fille mariée avec un Français qui ressemble à Brad Pitt. Eh oui… Comme quoi, il y en a qui ont vraiment de la chance.
Mon amie américaine habite dans une grande maison située dans un Etat où il fait très froid l’hiver. Elle rigole franchement quand je lui dit qu’on gèle à Paris en janvier, alors qu’elle est sous la neige depuis déjà deux mois. Mon amie américaine est comme Batman, elle n’a jamais froid.
Un jour, j’irai en visite chez mon amie américaine. Je suis sûre qu’elle me fera découvrir la région et, si je lui en fais la demande, je suis convaincue qu’elle pourra me dire combien, exactement, a coûté chaque sapin planté sur le boulevard principal… Ah, mais vous ne pouvez pas comprendre, c’est une private joke entre elle et moi. Un jour, je vous raconterai !