C’est une présence, un monde en mouvement. René Chicherio, Suisse, artiste peintre, coiffeur à ses heures et hôte bourguignon, n’est jamais à un paradoxe près. Le rencontrer est facile : il vous suffit de louer l’une des trois chambres de la Maison d’Hocquincourt . Le connaître est difficile car il est insaisissable, tout à la fois primesautier et profond, entremêlant plaisanteries de potache et réflexions fulgurantes, venues d’un passé que l’on devine intense.
L’aventure vous tente ? N’hésitez pas. Prenez votre voiture et roulez jusqu’à Bléneau, riant village de l’Yonne, plus exactement de la Puisaye, terre natale de Colette. Du coup, vous aurez envie de relire ses livres. Vous arriverez à destination en fin d’après-midi, à l’heure où le soleil s’essouffle et ménage une petite place à la brise du soir. Sur la grand place, vous vous arrêterez quelques instants pour humer le parfum des tilleuls. Ils vous rappellent votre enfance, la cour de récréation de votre école et le mot “innombrable” depuis que l’instituteur, pour vous en faire sentir toute l’intensité, avait désigné l’arbre majestueux à travers la fenêtre de la classe en disant “voyez, on ne peut en compter les feuilles, elles sont innombrables”, en appuyant bien sur le double “n”. Ah, cette chasse aux fautes d’orthographe… Sur la place, vous hésiterez : irez-vous tout de suite aux jardins d’eau, curiosité blénavienne classée “parc remarquable” et plusieurs fois primée ? Mais vous préférerez vous rendre d’abord chez vos hôtes, soucieux de ne pas les faire trop attendre.
Vous aurez raison, car l’acceuil sera à la hauteur de vos espérance. La maison est belle et les chambres charmantes. Tout de suite, vous repérerez sur les murs des toiles contemporaines. Les premières sont passées très vite devant vos yeux, mais rapidement vous vous interrogerez : seriez-vous en présence d’une extraordinaire collection d’oeuvres de Rothko ou, à tout le moins, de copies ? Une minute d’attention vous convaincra de votre erreur : non, vous êtes chez un artiste dont vous n’allez pas tarder à faire connaissance.
Grand, les cheveux grisonnants en désordre, la barbiche léninienne et, surtout, une inénarrable paire de lunettes rouges au milieu du nez, c’est René Chicherio. Sa chaleureuse épouse peut se tourner vers le fourneau pour vous préparer un petit dîner, il va captiver votre attention. S’il l’estime opportun, il vous invitera dans son salon de coiffure monoplace. Une curiosité locale. Ainsi goûterez-vous au plaisir du fauteuil relaxant et du shampoing massant, une pure merveille dont vous n’hésiterez pas, de retour à Paris, à vanter les mérites à vos amies ébahies. Vous apprendrez plus tard que, la peinture ne nourrissant que rarement son homme, c’est dans la coiffure que Chicherio a fait carrière. Coiffure de stars, qui plus est.
Mais la vie a des détours qui, vous le savez déjà, sont impénétrables. Aussi vous laisserez-vous bercer par l’accent vaudois de ce coiffeur devenu peintre. Vous rêverez d’acquérir l’une de ses toiles, la jaune peut-être, qui vous rappelle tant Rothko et la place que celui-ci a occupé, par procuration entendons-nous bien, dans votre vie. Vous vous laisserez conter des histoires extraordinaires. Vous accepterez de gaité de coeur les plus extravagantes prédictions, non que votre hôte soit devin, mais parce qu’elles viennent nourrir votre imagination et qu’elles vous font rire.
Vous aurez du mal à quitter ce lieu. Par chance, vous grignoterez un peu de temps supplémentaire grâce à un bienvenu vide-grenier villageois. Un déballage, comme l’on disait chez vous. Vous vous attarderez donc une fois encore sous les tilleuls. Vous mangerez quelques frites et ferez le plein de souvenirs, accueilli comme jamais par les gens du crû, gentils, simples et bons. Vos hôtes vous diront au-revoir comme s’ils savaient déjà que vous alliez revenir.