Magazine Journal intime

Kalissa

Publié le 05 juin 2007 par Stella

Il est arrivé au rendez-vous sanglé dans un costume trois pièces très strict. « J’étais à un mariage. Il a fallu que j’atteigne 56 ans pour porter ce machin-là », a-t-il clamé en défaisant d’une main impatiente le nœud de sa cravate qui avait déjà pas mal souffert. Kalissa - de son vrai nom Tharcisse Kalissa Rugano - est un natif de Kigali rural, commune de Rutongo, le 24 mai 1946. Auteur, acteur, metteur en scène, c’est un géant débonnaire dont le regard malicieux laisse deviner un esprit acéré. Sa parole révèle une immense tendresse, même pour ses détracteurs, et un sens de la répartie que ses œuvres théâtrales et poétiques ne démentissent pas.

Tous les vendredis après-midi, il travaille avec les maïbobos, les enfants de la rue de Kigali. Son cœur « grand comme ça » l’a poussé vers ces petits désespérés qui se droguent à la colle ou à l’essence et que l’argent des bailleurs de fonds ne parvient pas à tirer de la misère. « Je leur ai donné des tambours et de la danse ». Dans le jardin qui jouxte une maison inhabitée, un feu est allumé, devant lequel chauffent les tambours, afin de tendre leur peau. Garçons et filles dansent en groupes distincts. Au milieu d’eux, quelques assistants de la troupe de Kalissa se démènent. Lui-même se glisse entre les rangs, esquisse un pas, un geste. Plus tard, il donnera aussi le rythme, reprendra en chœur un refrain. Il mitonne déjà un spectacle qui mêlera maïbobos, enfants de familles et orphelins. « Mon travail empêche les gens de l’Unicef de dormir, ils craignent que je les empêche de manger ! », commente-t-il, rigolard.

Il est persuadé qu’on peut plus facilement intégrer les enfants dans la société grâce à la culture. Il souhaiterait même créer des jardins où les petits pourraient se retrouver pour apprendre ces choses informelles « si improductives et si indispensables ». Il voudrait aussi leur apprendre un métier, ou développer chez les plus doué un vrai sens de la comédie ou de la poésie.

Chez les Rugano, le don pour la poésie s’est transmis par filiation depuis le grand-père. Kalissa a écrit ses premiers vers à 20 ans et sa première pièce de théâtre dix ans plus tard. Il n’était déjà plus au Rwanda depuis longtemps. « J’ai fait 35 ans d’exil au Burundi », assène-t-il avec la même fierté que s’il était sorti vivant de 35 ans de prison.

En 1982, il est lauréat du prix Radio France Internationale pour le théâtre et fait ses débuts de metteur en scène. « J’ai fait 26 mises en scènes. Parfois pour une représentation unique car, dans la foulée, on se faisait interdire ». Dans un pays en état d’enclavement culturel, où il n’existe pas une seule maison d’édition, c’est déprimant. Ses sujets parlent d’exil ou d’histoire, sujets sulfureux. Le Tumulte du sang noir est un hommage à Steve Biko. « J’ai autant de dettes que Molière et Balzac réunis, mais je ne sais rien faire d’autre que du théâtre. »

Intarissable, Kalissa parle avec aisance de Wole Soyinka, Chinua Achebe, Ngugi wa Thiongo, Henri Lopès et, surtout, de Tchikaya U Tam’Si . « C’est mon Rimbaud, mon Verlaine, mon Mallarmé, mon Césaire, mon Baudelaire, bref, c’est mon tout. » Il a longtemps rêvé d’avoir la même liberté, de ne plus souffrir aucune censure. Il reste marqué par une scène qui s’est déroulée en 1990, au ministère de la Culture de l’ancien régime. Kalissa avait fait jouer une pièce de sa composition, sur un héros de 1312 qui s’est immolé pour que le Rwanda ne périsse pas. « Est-ce que vous ne pourriez pas écrire quelque chose qui ne signifie rien, comme ce tableau de Picasso que je viens de voir et qui s’appelle Guernica ? », lui conseille le ministre…

Aujourd’hui, Kalissa écrit toujours et met en scène, avec patience et détermination, des pièces en kinyarwanda, la langue du pays. « Je suis semblable à Ngugi wa Thiongo, le grand conteur kényan. Il a d’abord écrit dans la langue du colonisateur avant de se rendre compte que tout le petit peuple de réfugiés chez qui il voulait éveiller quelque chose ne pouvait pas le comprendre. C’est pour eux que j’écris, même si je suis contraint d’utiliser la langue commerciale pour gagner ma vie. » La lutte éternelle entre le coeur et la raison.


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