Magazine Journal intime

Urgence

Publié le 22 mai 2007 par Stella

J’ai passé une demi-nuit aux urgences de l’Hôtel-Dieu pour porter assistance à une mienne amie victime, j’allais bientôt l’apprendre, d’un accident vasculaire cérébral. Si un jour Dieu a besoin d’un hôtel, je lui conseille vivement de ne pas descendre dans celui-ci. Passons sur la vétusté des locaux, les sombres couloirs silencieux où l’on chemine sans voir âme qui vive et le manque de personnel : j’ai dû moi-même aider à installer mon amie sous le scanner, puis pousser le brancard au retour vers l’équipe soignante.

Le plus éprouvant, c’est la proximité. Non pas celle de Notre-Dame, même si ses deux tours prennent nuitamment une immobilité vaguement menaçante, mais celle de la préfecture de police.

Oui, la nuit, aux urgences de l’Hôtel-Dieu, arrivent tous les gardés-à-vue de la préfecture de police et, parfois, leurs victimes.

Alors que deux heures avaient sonné depuis longtemps au cadran d’Appolonius et que ma chaise en ferraille devenait instrument de torture, un grand gaillard à la mine défaite est apparu dans le couloir où je patientais, encadré par une paire de flics. Le regard un peu perdu, la démarche chancelante, il ressemblait à Tony Zale en 1948 après un swing signé Marcel Cerdan. D’ailleurs, il avait la tempe ensanglantée et le nez enfoncé. Une demi-heure plus tard, de retour de la radio, il zigzaguait toujours, les yeux rivés sur un cliché de son crâne qui lui semblait fort inquiétant. Jusque là, rien que de très ordinaire pour un service des urgences.

C’est alors que surgit le cri. Oh, pas celui de Munch, ce cri silencieux, angoissé, ravalé. Non, le cri supra-humain, celui qui vient du fond des âges, du fond des tripes, qui contient toute la colère du monde, la rage de vivre et la peur de mourir. Le cri de l’impuissance et de la frustration. Le cri qui mord, qui mange, qui engloutit.

Quelques instants d’un incroyable silence et la porte s’est ouverte sur une petite jeune fille, mains menottées dans le dos, encadrée de quatre gardes mobiles format crocodile. J’ai rapidement compris que c’était elle, l’agresseur du grand type amoché. Elle s’est assise sagement sur le lit de consultation alors que ses gardiens prenaient la pose dans le couloir. Le silence était total. Lourd. J’avais replongé la tête dans le Monde de la veille, pour me donner une contenance. C’était elle, le cri.

Curieusement, alors que ce couloir n’était depuis des heures qu’un perpétuel aller-retour, tout le monde avait disparu. Il n’y avait plus que les grands costauds, la petite jeune fille, le silence et moi. Alors, au bout de longues, longues minutes, on a entendu un petit, un tout petit sanglot. Un sanglot d’enfant perdu, triste et lointain. J’ai relevé la tête et, d’un seul coup, la terre s’est remise à tourner. Le gradé du groupe est entré dans la chambre de la jeune fille et s’est mis à la consoler. Ses camarades m’ont adressé un sourire contrit et une infirmière est sortie de la salle de soins intensifs pour me dire que tout allait bien, mon amie était hors de danger.


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