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Marie Dufon-Roche | Oser vouloir | Georgina Bazé, une femme dans l'Histoire | Lecture d'Angèle Paoli

Publié le 11 octobre 2023 par Angèle Paoli

Marie Dufon-Roche, Oser vouloir| Georgina Bazé, une femme dans l’Histoire
Éditions Marie Romaine 2023
Lecture d’Angèle Paoli

OSER VOULOIR

Georgina Bazé ou comment changer sa vie en destin.

Elle se nomme Georgina Bazé. Jusqu’à ces derniers jours, j’ignorais tout de son existence. Je découvre son destin de femme à travers le récit de son arrière-petite-fille, Marie Dufon-Roche. L’ouvrage, une biographie historique, s’intitule Oser vouloir et porte en sous-titre : « Georgina Bazé, une femme dans l’Histoire ».


Marie Dufon-Roche se penche avec une grande précision sur toutes les données historiques qui vont structurer son récit, fait de violences, de massacres et de ruptures tout en explorant les archives familiales qui donnent chair à son héroïne. Elle élabore ainsi un tissage savant qui combine les deux dimensions. L’Histoire dans laquelle s’ancre la vie de sa bisaïeule. Une vie qui se change en destin.

Née un 2 octobre 1859 à la Nouvelle-Orléans, Georgina Bazé va vivre plusieurs vies dans sa vie. Une enfance heureuse suivie d’une tranche de vie terne et vide, à laquelle elle se sent étrangère. Mais l’ennui constant et le désarroi font soudain place à une vie trépidante, faite de péripéties multiples, de rebondissements et d’actions en tous genres, d’engagements et de services. Georgina se lancera même en 1930, entraînée par le troisième homme de sa vie, dans le Théâtre ambulant pour les enfants. Elle sera costumière. Elle ira, dans ses vieux jours, jusqu’à faire des ménages. Rien ne la rebute du moment qu’il s’agit de « servir » autrui. Jamais elle ne se plaint des conditions de vie qui sont parfois les siennes, du manque d’argent qui la touche parfois aussi. Jamais elle ne quémande d’aide à qui que ce soit, pas même aux deux hommes avec qui elle a tant partagé. Ses deux amis de cœur d’action et d’âme que sont Fréderic d’Ange d’Astre et William Gwin. Lesquels, fervents admirateurs de son rayonnement, de son originalité, de sa constance et de sa force intérieure l’aideront dans ses choix et la suivront partout où ses choix la conduiront. Quant au premier homme, ce mari austère qui lui a été imposé et qu’elle n’a pas aimé, elle s’en émancipera en l’abandonnant à son sort de négociant en vin et spiritueux et à son incompréhension. Joseph Roche n’a en effet jamais compris sa femme du temps où il partageait avec elle son domaine et son lit ; il ne la comprendra pas davantage dans sa désertion et son absence.


Georgina Bazé connaîtra successivement la Guerre de Sécession, l’exil qui la conduit d’Amérique en France, des exils successifs et personnels. Elle changera de nom, abandonnera ses deux fils à leur institution et à Joseph Roche, son époux ; elle s’enfuira avec Odette bébé, à qui elle veut épargner le sort qu’elle a elle-même subi. À la naissance d’Odette en 1888, elle rompt définitivement avec la vacuité de son existence. Cette nouvelle naissance lui donne la force de briser le cercle qui la tient prisonnière. Et de donner naissance à une nouvelle femme, toute d’énergie et de désirs. Une battante et une combattante. Partir est désormais une question de survie.
De Bordeaux elle partira incognito à Paris, retournera aux États-Unis où elle suivra avec enthousiasme à Washington les préceptes théosophiques Bahá’ie, sans toutefois renoncer à sa propre religion. Donner une cohérence à sa vie, servir autrui sans préjugé ni de race ni de religion, réconcilier science et raison, c’est cela qu’elle cherchait désespérément au Domaine marital et qui se présente enfin à elle. Parce qu’elle a osé. Osé s’affranchir de liens qu’elle n’a pas choisis, osé laisser derrière elle une vie sans horizon autre que celui qui lui a été imposé : être madame Georgina Roche et n’être que cela. Elle est libre, enfin, libre de s’engager sur les fronts où l’on a besoin d’elle. C’est là désormais que se jouera son destin.


« Elle a enfin trouvé dans cette foi bahá’ie la voie d’exigence qui justifie le chemin parcouru. Le choc est profond. Les idées progressistes de cette foi rassemblent ce qui l’anime depuis si longtemps. »


Au printemps 1904, Georgina se rend en Palestine - à Akka (Acre aujourd’hui). Ce qui la tient au plus profond d’elle-même, c’est de mettre en pratique les principes de sa nouvelle foi. Œuvrer enfin auprès des plus démunis. Dès lors, elle ne cessera plus de partir et de revenir.
L’enfance est bien loin, les jours heureux des parfums et des couleurs inoubliables de la Nouvelle-Orléans aussi, qui continuent de l’habiter comme l’habite encore le souvenir des femmes fortes qui ont bercé ses jeunes années. Car les femmes autour d’elle ont été des femmes fortes. Des femmes indépendantes par la force des choses et par une vie rythmée par les conventions sociales de leur temps. Ce sont elles qui ont façonné le caractère de la fillette et c’est auprès d’elles que Georgina trouvera mentalement un appui solide. Lequel lui servira d’exemple dans sa vie d’adulte et dans ses choix personnels.
De retour en France, elle s’engage à la Croix Rouge (1905). En 1910 à Paris, elle vole au secours des sinistrés de la crue centennale de la Seine. Elle voyagera, d’un champ de bataille à l’autre, traversant sans fléchir les affres des deux grandes guerres. Elle suivra les armées en tant qu’infirmière-major, soutiendra à Constantinople les femmes ottomanes en lutte pour leur émancipation. Elle accomplira les nombreuses missions françaises qui lui sont confiées, de Compiègne à Salonique, puis dans les Balkans, sur le front d’Orient. Elle servira sous le nom de baronne d’Ange d’Astre, infirmière-major de l’UFF*. Elle sera décorée à plusieurs reprises pour les nombreux services rendus auprès des combattants. Mais la baronne d’Ange d’Astre n’est attachée ni aux honneurs ni aux décorations et son titre lui sert surtout à obtenir les ressources dont elle a besoin pour mener à bien ses missions. En juin 40, Georgina comme nombre de ses compatriotes, connaît l’exode. En 1942, arrêtée à Grasse, elle est envoyée dans un camp de la Drôme, à Dieulefit. Elle y reste avec son compagnon de quarante années de vie commune, William Gwin, jusqu’en 1944. Date de sa libération. Georgina Bazé est au bout de sa vie. Elle meurt en 1946, âgée de 87 ans :

« Quarante ans ensemble. Je ne sais comment je vais supporter sa perte. » Ainsi s’exprime William Gwin en 1946.

Pour arriver à reconstituer avec précision et objectivité la vie complexe et trépidante de sa bisaïeule, Marie-Dufon Roche s’est longuement penchée sur tous les documents dont elle disposait. Correspondance familiale et archives. Articles de journaux et carnets. Témoignages divers, des deux hommes qui se sont attachés à sa vie, de soldats l’ayant côtoyée au front, de coupures donnant son signalement. La correspondance riche et variée, permet de suivre Georgina dans ses déplacements et dans ses épreuves, dans ses engagements de femme mais elle est également constituée de silences qui laissent encore place au mystère. Car Georgina est une femme secrète, qui répugne à se répandre et à parler d’elle-même. La correspondance avec sa fille Odette est importante, mais elle se réduit souvent à quelques mots. Toujours très tendres. « Love and kisses ». Odette reçoit aussi des lettres en anglais très affectueuses de celui qui fut longtemps, à son insu, son père adoptif, Frédéric d’Astre. Georgina nourrit un échange important avec Joseph Peyramale, cousin par alliance de Bordeaux. Ce cousin est le lien qui la relie à ses fils. Odette sera le lien fort qui se tissera à nouveau avec ses frères, André et Emmanuel. Grâce aux deux fils Roche dont elle est issue, Marie Dufon-Roche a pu reconstituer une part de la vie de sa bisaïeule et redonner vie aux racines qui avaient été coupées.


Au-delà de l’admiration que je peux nourrir pour Georgina Bazé, je ne peux qu’être bouleversée par l’attitude des deux fils abandonnés, tout juste adolescents. La force avec laquelle ils ont surmonté l’épreuve au long cours de la rupture et supporté la douleur qui l’accompagne me touchent. Ainsi que leur grande dignité. Par-delà l’absence et la déchirure, ils ont aimé leur mère. Et quelle plus grande preuve d’amour que d’avoir respecté une vie et des choix où eux-mêmes n’entraient pas ?

*Union des Femmes de France

ANGELE NB

 Angèle Paoli / D.R. Texte angelepaoli

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DUFON-ROCHE Marie

Marie Dufon-Roche,  Angliciste, ex-professeur en collège, après une longue fréquentation des bibliothèques jeunesse, trouve un intérêt particulier à l’écriture critique,
elle s'attache à révéler des parcours de femmes inspirantes. Elle collabore à  → NVL, la revue de littérature jeunesse. 

Voir aussi librairie  → Arthaud 


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