J’avoue très humblement ne m’être pas encore interrogé au sujet du combat perpétuel qui opposerait mes tendances épicuriennes et mes penchants dionysiaques. Certes, le lamentable spectacle, qui ne s’arrange pas avec le temps, de mon triste reflet dans les vitrines des magasins devrait m’alerter. Mais n’ayant jamais éprouvé le besoin de me séduire moi-même, la question doit sans doute demeurer tapie dans les limbes de mon subconscient, comme dirait le télévisuel psychanalyste Gérard Miller. De hardis sondeurs n’en ont pas moins interrogé un panel dit représentatif de Françaises et de Français : aimez-vous votre corps ?
L’affaire n’est pas anodine. Qui ne se regarde pas au moins une fois par jour dans le miroir de sa salle de bain ? Certes et comme d’habitude dans ce genre d’enquête, nul ne sait combien de sondés ont refusé de répondre. On apprend toutefois que 67% des hommes qui ont accepté semblent se contenter bon gré mal gré de leur calvitie précoce, de leur ventre mou et de leurs fesses avachies de sédentaires. D’autres, en revanche, regrettent, en l’absence bien sûr de leur "régulière", de ne pouvoir arborer sur la plage la fameuse tablette de chocolat dont, croient-ils, raffoleraient les midinettes. Ils représentent les 33% de mécontents qui, tout en restant minoritaires, alimentent à satiété un tel tapage médiatique qu’il laisserait à penser qu’il s’agit là d’une préoccupation existentielle de tout un chacun.
Les femmes, quant à elles, seraient au moins 60% à ne pas se sentir à l’aise avec leur corps. Leurs raisons sont diverses, multiples et innombrables. Mais des raisons, regrettent-elles, que la raison masculine semble ignorer ou balayer négligemment d’un revers de torchon à vaisselle. Il suffit pourtant d’un quart d’heure d’écran publicitaire pour s’en convaincre. Il en découle dès lors pour elles un mal-être diffus qui se traduit dans la vie courante par un manque de confiance en soi face au mâle satisfait.
Certaines, en compensation, s’essaient à imiter ces sublimes actrices qui défilent sur les tapis rouges. Elles rêvent devant les vitrines des grands couturiers et des chausseurs renommés, dévalisent les étagères des mercantiles vendeurs de pommades miraculeuses et s’imaginent ensuite dans les bras de ces si beaux spécimens qui pérorent sur les réseaux sociaux et autres sites de rencontres. Mais le quotidien les rattrape au galop. Les enfants qu’ils faut aller chercher à l’école du quartier, les courses dans les supermarchés discount, la popote, le ménage … Une vie d’enfer ! Sans compter la charge mentale de plus en plus insupportable pour gérer au mieux cet ordinaire éprouvant.
Au vu de ces immenses défis qui attendent aujourd’hui la gent féminine, il serait tentant de recommander aux jeunes hommes soucieux, en bons pères de famille, du bien-être de leur progéniture, de réserver leurs gamètes à la seule fabrication de garçons. Eux, au moins, échapperaient à cette terrible malédiction qui, selon les féministes les plus averties, frappe leur genre depuis la nuit des temps. Demeure toutefois le risque qu’arrive le jour où, comme l’écrit Alexandre Vialatte*, l’homme, privé de sœurs, de cousines et d’épouse légitime, ne vive comme un vieux garçon sinon même comme un veuf, de pain dur, de camembert rassis et de vin aigre. Et ce serait alors l’avenir même de notre civilisation qui partirait à vaut l’eau. (*Dernières nouvelles de l’Homme, Alexandre Vialatte, éditions Julliard)