Je lis C’aurait pu être un film de Martine Delvaux.
« C'est l'histoire d'un film qui ne s'est pas fait. C'est l'histoire de trois artistes, Hollis Jeffcoat, Joan Mitchell et Jean Paul Riopelle, dont les vies ont été entremêlées. »Je revois Sanibel Island.
Je revois l’île aux Oies.
Je revois mes amies artistes.
Dont certaines ne peignent plus. Dont on n’entend plus parler.
Combien de personnes doivent connaitre notre vie? Ça ne la rallongera pas.
Entre deux pages, aller recouvrir quelques arbustes. Pour l’hiver qui vient.
Pluie et vent du nord. Les mains froides.
Pourtant l’hydrangée si belle, si colorée. Des couleurs de tableaux d’artistes.
Entre deux pages aussi, lire Wikipédia et, bien sûr, faire un détour par Facebook.
Trouver la parution du prochain livre de Nicole Brossard.
Sur le site de Boréal, j’ai lu un extrait de L’entaille et la durée.
Une rétrospective, une anthologie. Du sérieux, de l’universitaire.
« Les mots identifiés en tant qu’outils, que moyens, s’éliminent peu à peu à l’intérieur d’un langage elliptique, langage qui n’implique en aucune façon la discontinuité, mode d’expression et d’agir qui semble nous cerner chaque jour davantage et qu’il serait sans doute intéressant de déchiffrer à l’intérieur d’une expérience littéraire. »Plus à l’aise avec l’écriture de Martine Delvaux. Plus à la portée de mon cerveau.
Les mots de Nicole Brossard s’adressent à mon moi intellectuel qui a ses limites.
Ceux de Martine Delvaux se faufilent dans ma vie émotive, dans ce trou sans fond de mon affect.
« Tout est matière à écriture. Tout ce qui nous arrive ou qui arrive aux autres, tout ce qu’on observe et qu’on porte à l’intérieur de nous, tout ce qui retient notre attention. Tout. Toute la vie, même ce qui semble futile. »Je revois Nicole Brossard, en 1969, sur le chemin Caron. Qui me remet mon manuscrit. Qui le commente sommairement.
Cette année-là, elle écrivait déjà :
« Il n’y a pas de plus grand risque que celui de l’écriture. Écrire, c’est-à-dire tracer noir sur blanc des mots qui nécessairement cachent (ou révèlent) sous leur mince couche d’encre une émotion, un sentiment, une intuition, un désir. »Je me revois, pleine d’espoir de devenir écrivain.
Pas comme elle. Juste comme moi. Ce moi dont j'ignorais ce qu'il deviendrait. Me le demande encore parfois.
Il me vient en tête des titres :
C’aurait pu être un livre
Ou C’aurait pu être une vie. Une autre vie. Une vie encore. Parce que déjà, la mienne achève. Je suis dans l'acceptation de l'inévitable.
Je ne sens plus cette force qui pousse à écrire des centaines de pages, de raconter une longue histoire.
Je ne sens plus ce besoin d’aller voir ces lieux touristiques ou mystérieux ni ceux où ont vécu tel ou tel artiste, tel ou tel auteur.
Je ne regrette plus ces cours de littérature auxquels j’ai renoncé à 20 ans.
Je sais maintenant que ma paix n’est pas ailleurs.
Mais je sens toujours cet « étrange refus de vieillir, le désir d’échapper au temps malgré sa marque sur le corps. »
Déjà plusieurs petits deuils, mais aussi de plus en plus d’acceptations, de laisser-aller.
Pourtant, si on me l’offrait, j’y songerais sérieusement : non pas vivre encore longtemps, mais avoir deux ou trois autres vies :
une avec quelques millions de dollars,
une autre avec des facultés intellectuelles supérieures.
Pourtant, je suis de plus en plus dans cette paix que je cherchais déjà à 15 ans quand j’ai commencé à écrire dans ma grande garde-robe, la porte fermée. J’ai toujours cherché plus la paix que l’amour. J’aime croire que j’ai connu les deux. Que je connais les deux.
Je suis bien à lire un livre, à lire les vies des autres.
Je suis bien à regarder les hydrangées.
Plaisir et coeur tranquille aux couleurs d'hydrangée.
Si (me semblait aussi qu'il y aurait un "si"!) le champ d’épis de maïs peut être coupé que je retrouve les couchers de soleil flamboyants!
Que le gel vienne.