Lancelot a accepté l'opportunité de loger au Séminaire français de Rome, comme Maurice Maillard. Cela lui donne l'occasion de rencontres intéressantes.
L'ambassade au Vatican, est occupée par le comte Wladimir d'Ormesson ( oncle de l'écrivain et journaliste Jean d'Ormesson.) de 1948 à 1956, après l'avoir été par le philosophe Jacques Maritain.
De la fin de la guerre à 1968, Joseph Delos dominicain, à Rome, est le conseiller ecclésiastique de l'ambassadeur de France près le Saint-Siège.
Lancelot sera en contact régulier avec le père Delos très soucieux des liens entre l'Eglise de Rome et les catholiques de France. Le dominicain est un spécialiste de droit international, professeur la Faculté libre de droit de Lille de 1924 à 1940.
Il développe une thèse intéressante sur la distinction entre l'Etat et la Nation. L'un est une organisation politique, la seconde est une communauté culturelle.
Il est intéressant, de lire dans les contacts de Lancelot avec le père Delos, des développements sur un programme politique. Ainsi, cette proposition d'un état fédéral afin d'associer les diverses minorités nationales, basée sur le '' Bien Commun'' notion avancée par Thomas d'Aquin ( reprise d'Aristote), qui se formaliserait dans les institutions.
Si la politique internationale se fonde sur les nations, elle peut être " définitivement, complètement perturbée et menacée par le nationalisme " ; la nation n'étant qu'un prétexte au totalitarisme. Les nations - selon le principe thomiste de la " sociabilité naturelle " entre les hommes - doivent être protégées et régulées, afin d'établir entre elles des relations de " libre commerce ". Le ''commerce '' comprend les échanges économiques, culturels et de solidarité. Ceci, serait la base " d'une communauté internationale, protectrice de la civilisation, et du développement humain "
Lancelot et le père Maillard discutent de la question, en politique : un parti chrétien a t-il du sens ?
- Effectivement, Maritain, parle de ''nouvelle chrétienté''
- Un concept critiqué par Mounier, rappelle Lancelot, il relevait l'illusion d'une '' domination parfaite de la société par l'organisme chrétien '' ( conférence de 1949 : '' Foi chrétienne et civilisation ''). Il ne s'agit pas aux chrétiens de reconquérir mais de témoigner... Mounier ( mort en mars 1950) récusait l'idée que l'on puisse se dire " monarchiste parce que chrétien " ou " de gauche parce que chrétien ".
- Il y a chez le chrétien, cette image du ''Royaume'' : il n'est pas la fin de l'histoire, il a déjà commencé en nous, puis par nous...
- Lancelot reprend aussi cet optimisme teilhardien du sens de l'histoire. Et dans ce sens, Mounier, pense que l'histoire et les civilisations sont " dans notre condition, des médiations nécessaires ".
- L'Église, travaille à l'avènement du Royaume. Mounier ajoute aussi, que la société ne doit pas rejeter, exclure ce qu'il nomme le ''surnaturel'' : L'ouverture au surnaturel " est la condition radicale de la sauvegarde des personnes et, par elles, de la civilisation tout entière "
En France, même, on s'interroge sur l'opportunité d'un parti '' Démocratie Chrétienne'' ( D.C.). Seulement, les français peuvent-ils accepter qu'un parti politique puisse s'affirmer lié à une Église ?
- Le MRP, le Mouvement républicain populaire créé en 1944, se situe dans cette tradition du catholicisme social, et renvoie dos à dos le libéralisme et le socialisme. Toujours cette recherche d'une ''troisième voie'', qui semble se pervertir devant la réalité de l'économie.
Hors de France, la D.C. ne veut pas être le ''bras politique'' des Eglises ; elle peut soutenir d'ailleurs, la séparation de l'Etat et de l'Eglise ; tout en reconnaissant partager les même valeurs.
- Qu'elles sont-elles ?
- La liberté, la justice et la solidarité ; basées sur une conception chrétienne de l'homme, ''personnaliste'', c'est à dire reconnaissant dans chaque humain la dignité inaliénable de l'être, unique, perfectible ( pour exprimer l'avènement d'un homme nouveau). Ces valeurs, aujourd'hui, ne peuvent développer que dans une démocratie, qui promeut une économie sociale de marché ( selon la doctrine sociale des Églises chrétiennes) et un état protecteur.
Dans l'éthique sociale chrétienne une notion est primordiale : la subsidiarité. Du latin 'subsidium' qui signifie, recours, appui ; ainsi l'Etat ne rentre en jeu que lorsque les plus petites unités n'arrivent plus à mener une vie autonome et responsable. Ce qui se traduit par la préférence d'une décentralisation administrative assez poussée.
Ensuite, certains thèmes sont privilégiés : - la primauté de la famille comme cellule de base de la société et premier lieu d'éducation, de responsabilité et de solidarité. - Un souci de l'environnement, très bien représenté par le mouvement scout, prisé dans ces années 50.
Pourtant, l'Église elle-même, a du mal à se réformer. Elle semble figée par la peur du modernisme et par la crainte d'une recherche intellectuelle qui ne conduirait qu'à l'éloignement de la foi. Un enseignement classique, fondé sur le thomisme traditionnel, s'oppose à l'approfondissent des grandes philosophies contemporaines.
Pour les conservateurs, un parti catholique devrait être le parti - en conformité avec les enseignements pontificaux - qui réagit au libéralisme accusé de désorganiser la société, et au socialisme qui la trompe.
Un parti catholique se confondrait donc avec le conservatisme ; il serait le garant de la survivance du passé dans un monde qui change et de plus, assurerait la sécurité de la patrie.
Ce parti serait celui de tous les chrétiens qui souhaitent mieux défendre l'Eglise dans une société libérale, contre le communisme.
Lancelot et Maurice, s'accordent à constater que la société se modernise et se déchristianise. Le Vatican, dans sa tour d'ivoire, ne voit pas la crise arriver, avec la baisse des vocations et des laïcs en mal de pouvoir se situer.
Des prêtres dénoncent l'écart entre la vie catholique et le monde ouvrier. La Mission de France, voulue par le cardinal Suhard ( archevêque de Paris) a donné naissance entre 1943 et 1947, aux ''prêtres-ouvriers''. Ils vont apporter la contradiction dans l'Eglise ; contradiction entre un ordre social chrétien et conservateur, opposé à la modernité et un catholicisme social progressiste fondé sur la JOC, et - il est vrai - proche du PC parfois.