<< Poésie d'un jour
Portrait par G.AdC
Le 15 novembre 1945, le Prix Nobel de Littérature est décerné à Gabriela Mistral (1889-1957), de son vrai nom Lucila Godoy y Alcayaga.
Elle prononce son Discours de réception le 10 décembre 1945. C'est le premier Prix Nobel de littérature décerné à un écrivain hispano-américain.
Agua
Hay países que yo recuerdo
como recuerdo mis infancias.
Son países de mar o río,
de pastales, de vegas y aguas.
Aldea mía sobre el Ródano,
rendida en río y en cigarras ;
Antilla en palmas verdi-negras
que a medio mar está y me llama ;
!roca ligure de Portofino :
mar italiana, mar italiana !
Me han traído a país sin río,
tierras-Agar, tierras sin agua ;
Saras blancas y Saras rojas,
donde pecaron otras razas,
de pecado rojo de atridas
que cuentan gredas tajeadas ;
que no nacieron como un niño
con unas carnazones grasas,
cuando las oigo, sin un silbo,
cuando las cruzo, sin mirada.
Quiero volver a tierras niñas ;
llévenme a un blando país de aguas.
En grandes pastos envejezca
y haga al río fábula y fábula.
Tenga una fuente por mi madre
y en la siesta salga a buscarla,
un agua dulce, agua y áspera.
Me venza y pare los alientos
el agua acérrima y helada.
! Rompa mi vaso y al beberla
me vuelva niña las entrañas !
Eau
Il est des pays que je me rappelle
comme je me rappelle mes enfances.
Ce sont des pays de mer ou de fleuve,
de pâturages, de plaines et d’eaux.
Ô mon village sur le Rhône,
offert parmi fleuves et cigales ;
Antille* parmi les palmiers vert-foncé
Qui sise au cœur de la mer m’appelle ;
roche ligure de Portofino :
mer italienne, mer italienne !
J’ai été emmenée dans un pays sans fleuve,
terre-Agar, terres sans eau ;
Sarah blanches et Sarah rouges,
où péchèrent d’autres races,
du rouge péché des Atrides
que narrent des argiles fêlées ;
qui ne naquirent pas comme un enfant
aux bourrelets bien en chair,
quand je les entends, sans un sifflement,
quand je les croise, sans un regard.
Je veux revenir aux terres enfantines ;
ramenez-moi à un tendre pays d’eaux.
Qu’en de grands pâtis je vieillisse
et change le fleuve en fables et en fables.
Que j’aie une source pour ma mère
et que lors de la sieste j’aille la chercher,
et qu’en des jarres s’écoule d’un rocher
une eau douce forte et âpre.
Qu’elle me gagne et me coupe les souffles
l’eau âcrissime et gelée.
Qu’elle brise mon verre et en la buvant
qu’elle rende enfance à mes entrailles !
Gabriela Mistral, « Tala 1938 » in De désolation en tendresse, Anthologie (poésie et prose), T
Textes traduits de l’espagnol (Chili) par Laëtitia Boussard et Benoît Santini, Éditions Caractères 2018, pp.72, 73,74,75. Collection Planètes
*La poétesse employant le singulier pour le mot « Antilla », nous le conservons en français.
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GABRIELA MISTRAL
Ph. D.R.
Source
■ Gabriela Mistral
sur Terres de femmes ▼
→ La cendre
→ Cordillera
→ Désolation
→ 15 novembre 1945 | Gabriela Mistral, Prix Nobel de littérature
→ (dans la galerie Visages de femmes de Terres de femmes) un autre poème de Gabriela Mistral (Ausencia)
■ Voir aussi ▼
→ (sur books.google.fr) l'intégralité du recueil Tala (en espagnol)
Pour lire et/ou écouter d'autres poèmes (en espagnol) de Gabriela Mistral, cliquer ICI