Que vient faire l'écrivain en berne David Rousseau à Mouthe, ou, plus précisément, au monastère du Val Dressé ? Il répond en fait à une invitation du frère Giacomo, qui veut lui révéler quelque chose de très important pour lui. Las, pas de chance, il arrive trop tard, ledit frère vient juste de s'en aller ad patres. Peu après, la découverte d'un meurtre au Polar Park va entraîner Rousseau dans une double enquête : qui est ce mystérieux tueur en série amateur d'art, et quel secret sur ses origines est parti dans la tombe avec le frère Giacomo ? Tout cela va s'entrelacer et c'est lors de la poursuite terminale du meurtrier que le secret va être levé.
Après l'enterrement du moine, Rousseau s'entretient avec le Père François, qui lui sert un verre de l'absinthe fabriquée au monastère, selon une recette dont il est visiblement fier de proclamer que le secret est gardé depuis 1655. Le secret, toujours le secret. La mère de l'écrivain, Claudine, est venue en retraite plusieurs fois au Val Dressé. Ayant appris sa mort, frère Giacomo a écrit à Rousseau en lui disant que sa mère était revenue, quand il était petit, lui dire quelque chose en confession. Et c'est ce que Giacomo voulait lui révéler, ce que le Père François ne peut croire, car cela revenait bien sûr à enfreindre le fameux secret de la confession.
Ce plan serré sur la bouteille et le verre d'absinthe n'est pas anodin : l'autoportrait de Van Gogh est directement lié au premier meurtre, avec l'oreille coupée trouvée dans le neige, et le cadavre du facteur maquillé en Vincent.
Plus tard, dans l'épisode 3, une autre étiquette de la bouteille d'absinthe va se révéler cruciale pour la suite. Elle emprunte cette fois à Adam et Eve.
Le dessin est de la main du frère Giacomo. L'Eve nue présentant la pomme n'est autre que Claudine qui a donc posé autrefois pour le moine en compagnie d'un jeune homme dont l'identité n'est pas établie. A l'épisode 4, Rousseau revoit la scène comme s'il y était (c'est lui au premier plan, à gauche).
Un plan au double contraste : la capuche hivernale face au paysage édénique estival, l'austérité de la bure monacale face à la nudité candide du couple originel. Double échappée aussi hors du réalisme.
In fine, cela nous conduira à la résolution du secret des origines. Mais je n'aurai peut-être pas consacré un article à cet aspect de la série si je n'avais pas redécouvert un livre lors du rangement récent de la bibliothèque. Un livre acheté à Noz il y a pas mal de temps (je suis incapable de retrouver la date exacte et je n'ai rien noté à l'époque), dont le titre est Célébration de la Rencontre, publié chez Albin Michel en 2002. Il se présente en deux parties, un texte tout d'abord de Frédérique Hébrard, puis une exploration de tableaux sur Adam et Eve, commentés par Paule Amblard. Avec, par exemple, cette enluminure de Jean Fouquet, Le Mariage d'Adam et Eve, vers 1410 (selon l'autrice, mais ce doit être une coquille car ailleurs on donne vers 1470-1476 - en 1410, Fouquet n'était pas né...)
On remarquera que la nudité ne pose pas problème à l'époque, les sexes y sont représentés sans feuille de vigne superfétatoire. Même chose, un siècle plus tard, avec cette formidable gravure de la même scène par Jean Duvet (c. 1540-1555).
Un tableau se rapproche davantage du dessin du frère Giacomo, c'est celui du peintre flamand Hugo Van der Goes, Le Péché originel (vers 1475). On y retrouve la pomme tenue par Eve, et les sexes sont cachés (par la main d'Adam comme sur le dessin du moine ou par l'iris, symbole de la Vierge, pour Eve). C'est à se demander si ce n'est pas ce tableau qui a servi de modèle à Gérald Hustache-Mathieu.
Mais, encore une fois, je n'aurai peut-être pas développé cette résonance à la Genèse si je n'étais pas étrangement retombé sur l'Annonciation de Fra Angelico, que j'ai mise en exergue dans l'article du 5 novembre, Tout ce qu'il entendra, il le dira. Il s'agit du dernier tableau commenté par Paule Amblard. Bien entendu, le motif principal est la représentation de l'ange Gabriel et de la Vierge Marie, mais dans le tiers gauche de l'oeuvre que voyons-nous ? L'exil d'Adam et Eve, chassé du Paradis terrestre par l'ange de Dieu. C'est ce détail qui fait d'ailleurs la couverture d'un livre sur le peintre florentin.
"Yahvé Dieu fit à l'homme des tuniques de peau et les en vêtit" (Genèse 3, 21). Cette peinture a été réalisée quelques années après la fresque de Masaccio (1424-1425), représentant également l'exil du couple originel, mais dans une vision plus dramatique (et l'on notera aussi que la nudité est peinte sans tabou, enfin surtout celle d'Adam, à telle enseigne que le critique Edouard Dor lui a consacré un petit livre au titre lui aussi sans tabou, Les couilles d'Adam)
"Eve qui hurlait sa douleur, écrit Paule Amblard, est ici en prière. Seul le front plissé et la tête rentrée dans les épaules indiquent la souffrance. Et la peine d'Adam se lit dans cette main lui couvrant le visage. "Qu'ai-je fait ? semble-t-il dire. Le visage du chérubin est d'une douceur infinie comme sa peine. Seul le geste de la main, indiquant le chemin de l'exil, montre la rigueur qui s'exerce."
Décidément, ce Polar Park m'aura entraîné bien loin sur les chemins de l'art sacré.