S'il y a bien un mot que j'entends très souvent dans ma morne petite existence, c'est celui-ci : « statistiquement ».
Parce que j'ai eu la mauvaise idée d'attraper une sale maladie : la phobie. L'avionophobie. La grandoiseaudemétallophobie. Bref, la peur de l'avion (pas moyen de trouver le terme sur le net, les phobies étant classées par ordre alphabétique et non par objet de la phobie, bizarre autant qu'étrange).
Ainsi, depuis que j'ai peur, soit depuis une dizaine d'années seulement (y a-t-il un psy dans le cockpit ?), on me bassine régulièrement, savoir à chaque fois que je dis que je ne monte pas dans ces engins diaboliques, avec des phrases commençant systématiquement par « statistiquement... ». « Statistiquement, l'avion est le moyen de transport le plus sûr », « statistiquement, tu as peu de chance de mourir dans un crash », « statistiquement, la voiture est bien plus dangereuse ». Et patati et patata.
Au début, j'argumentais. Puis je me suis lassée, à force. A l'occasion, je tente d'expliquer qu'une phobie est par définition non basée sur des statistiques, qu'elle est viscérale et incontrôlable. Mais en général, j'acquiesce, d'un air qui signifie « je sais, je suis pathétique, malgré les statistiques ».
Et ça me saoule. Mais ça me saoule. Y'a des baffes qui devraient se perdre.
Il y a cependant certains jours, très rares, fort heureusement, où je pourrais sans risque exposer ma phobie, en long et en large. Des jours où on me regarderait d'un air compréhensif, et non accusateur, pour changer. Des jours où personne ne me parlerait statistiques. Des jours où personne n'oserait même les évoquer, ces fameuses statistiques.
Des jours comme aujourd'hui.
Des jours tristes.
Des jours où, d'un coup d'un seul, des tas de vies humaines se volatilisent. Explosent. D'un coup d'un seul. Un coup du sort. Un coup du destin. Un coup à faire pâlir les statistiques.
Des vies qui n'étaient pas des statistiques, elles.