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Le Graal, une réponse à Prométhée

Publié le 05 décembre 2023 par Perceval

A la suite de cette discussion autour de Prométhée, Lancelot revient, comme bien souvent, à ce que pourrait en dire l'esprit du Conte du Graal.

Le Graal, une réponse à Prométhée

D'ailleurs, Maurice, curieux du mythe et de la figure que représente Lancelot, demande à son ami ce qui le relie finalement à ce héros médiéval ?

- Géographiquement le chevalier est né au Passais entre Mayenne et Normandie. Il est de la lignée de Joseph d'Arimathie qui porta le Graal en Grande-Bretagne. Après la fin du royaume d'Arthur, et alors que le Graal à jamais est à jamais dérobé aux hommes, Lancelot se retire dans un monastère où il mourra. On trouve non loin de Fléchigné, une autre figure qui reprend les mêmes éléments symboliques, à Saint-Fraimbault-de-Lassay - l'ermite Fraimbault, un modèle du personnage de Lancelot - où il a terminé sa vie, reconnu comme un saint célébré par les rois de France à partir de Clovis. ( Cf ici ''L'Histoire de Lancelot, du pays de Passais'')

Le Graal, une réponse à Prométhée
Saint-Fraimbault

Lancelot représente le chrétien imparfait. Il a du mal à choisir entre Guenièvre et le Graal, entre l'amour et la foi. Lancelot, est nommé parfois, le ''chevalier pensif'', il a du mal à voir le monde tel qu'il est, et ne sait plus qui il est ( à lire dans le Chevalier de la Charette ). Pour faire court, on dit que c'est le ''péché'' qui l'empêche de conquérir le Graal.... Mais, et c'est important, le Graal n'est pas l'histoire d'une personne, il est l'histoire d'une lignée. Et, il y a Elaine ; elle le relie au Graal, par le fils qu'elle lui donne, Galaad.

Maurice s'étonne de la présence du ''péché'' ..- Tu peux m'en dire plus...

- Connais-tu la figure du ''Roi Pêcheur'' ( ou Amfortas dans la version de Wagner) ? Il souffre d'une blessure mystérieuse, certainement liée à cette ''faute'' autour de laquelle nous tournons...

Qui est ce roi ?

- Dans la Queste del Saint-Graal, le roi méhaigné ( mutilé) appelé Pellehan ( ou Pellam, ou Pellès...) a été frappé par le chevalier Balain ( Balin) avec la lance qui avait transpercé le côté de Jésus. Le roi est blessé entre les hanches, ce qui cause la désolation de tout le royaume.

Le Graal, une réponse à Prométhée

Cette blessure, est le signe d'une agression, tout à la fois, contre la souveraineté, contre la Nature, le principe féminin, et contre le Graal.

Parallèlement, alors que le roi Arthur, lui-même, est défaillant et devient un roi blessé, Lancelot, par amour, devient le protecteur de la reine Guenièvre agressée et captive de Méléagant ; mais alors, l'unité du royaume est brisée.

Lancelot rappelle que c'est la révélation de l'amour transgressif de Lancelot pour Guenièvre, qui va précipiter la fin du royaume d'Arthur et la fin de la chevalerie terrestre, alors que la chevalerie céleste aboutit au Graal par son fils Galaad.

L'écrivain de la Queste, pénétré de la théologie mystique de saint Bernard, voulait avertir ses contemporains du courroux de Dieu s'ils s'obstinent dans le péché.

- C'est plus difficile aujourd'hui de parler du péché. Pourtant, l'image du Royaume brisé, de la Terre Gaste, renvoie à une sorte de fatalité qui s'abat sur le monde médiéval. La ''Queste du Graal'', nous représente un monde violent fait de guerres et même en paix, de tournois. Le monde païen évoque des puissances maléfiques. " L'existence humaine y reste enténébrée par le Mal, en dépit de l'avènement de la morale courtoise et de l'influence toujours plus forte de l'Église. " ( Perdita Formentelli, universitaire)

Aujourd'hui beaucoup craignent que la guerre nucléaire soit le destin apocalyptique de l'humain.

Le Graal, une réponse à Prométhée

Ceux qui partaient à la quête des ''secrets du monde'', privilégiait dans leur jugement les causes des désastres, et réveillait une culpabilité primitive de la personne sur qui s'abattait la colère divine.

- Et que penser de la présence constante de Satan ?

- Pour en revenir à Prométhée ; en cause était un ''feu'', une connaissance qui lui était liée et qui a pu apparaître comme diabolique. La première connaissance coupable du Bien et du Mal n'a t-elle pas été imputée au Diable ?

Prométhée pourrait être rapproché de Lucifer ( l'ange de la lumière, mais ange déchu) qui en échange d'une damnation éternelle transmet des connaissances magiques...

- Attention... Ce qui est important c'est la Présence de la Grâce.. C'est le rôle du Graal.

Avec le roi blessé, la Terre Gaste n'est plus fécondée par l'eau du ciel. Du silence de Perceval, naît Galaad et la Parole rédemptrice. Daniel Poirion, nous dit que pour Saint Bernard : " le Verbe est le non-dit de la parole humaine comme s'il était fondé sur un oubli " ( " ce qui est invariable est incompréhensible et doit donc être ineffable " ( Sermons de St Bernard. Tome 2 p 88).

- Justement ; que dire du Graal ?

Le Graal, une réponse à Prométhée

- Le Graal est un objet complexe, et ambigu, il témoigne de rites anciens et donc de la nature vivante de ceux-ci. Le Graal chrétien est la coupe qui contient une hostie. Elle représente '' la transcendance divine eucharistique'' qui donne la Grâce.

- Comment conquérir le Graal ?

- Perceval n'a pas su poser la bonne question ; peut-être parce qu'il a causé la mort de sa mère, parce qu'il n'a pas su considérer autrui... ? Lancelot non plus ; parce qu'une autre passion que celle du Graal, le passionne... Pourtant, au cours de la Quête il exprime son repentir ; mais seule la virginité de Galaad semblait permettre d'être entièrement rempli de la Grâce divine.

Ici le destin individuel du héros, exprime un idéal collectif. Ce qui est en cause, c'est le destin de la Nature.

Si la régénération de la Nature, fait partie de la quête ; elle s'en tient à l'accession au Château de Graal, à l'espérance de pouvoir guérir le Roi; mais la contemplation du Graal reste l'objet d'une chevalerie céleste.

Le Graal, une réponse à Prométhée
Friedrich_Heinrich Fuger Prometheus 1817

Maurice, pour en revenir encore à Prométhée, se remémore quelques page des '' Cahiers'' de Simone Weil qui viennent d'être publiés. Elle écrit : " Le Christ a indiqué son affinité avec Prométhée, quand il dit " je suis venu jeter un feu sur terre ". elle relève les analogies, ou concordances entre la pensée grecque, et le christianisme. Elle relève les notions de salut, chez Platon, Pindare, Hérodote, et Sophocle est, à ses yeux, " le poète grec où la qualité chrétienne de l'inspiration est la plus visible et peut-être la plus pure. Il est beaucoup plus chrétien que n'importe quel poète tragique des vingt derniers siècles, à ma connaissance. "

Dans la même idée, Lancelot se souvient d'un ouvrage d'Edgar Quinet (historien) ( transmis par Charles-Louis de Chateauneuf ), dans sa préface, il explique ses raisons de réécrire la légende de Prométhée : cette figure est l'une parmi d'autres ( Orphée, Sisyphe, Némésis...) que le christianisme va récapituler en faisant du Christ, le rédempteur. Pour Quinet, chaque peuple, écrit une page de ''l'Ancien Testament ''. Il écrit : " Il n'y a plus ni Grecs ni Barbares, ni gentils ni chrétiens, ni anciens ni modernes, mais une même société d'hommes réunis autour d'un même abîme, et qui se font les uns aux autres la même question, presque dans les mêmes termes. "

On peut noter aussi :

André Gide, dans '' Le Prométhée mal enchaîné'',(1899) le voyait comme ''homme de lettres'', Sartre le voit plutôt comme un ingénieur, un technicien qui asservit l'humanité, dans sa pièce Épiméthée (1929). Camus ( Prométhée aux Enfers, dans L'Été ) écrit que ce révolté dressé contre les dieux est le modèle de l'homme contemporain qui choisit de se libérer de toute aliénation... Mais ... " Mais au lieu de s'asservir le réel, il consent tous les jours un peu plus à en être l'esclave. C'est ici qu'il trahit Prométhée, ce fils " aux pensers hardis et au cœur léger ". C'est ici qu'il retourne à la misère des hommes que Prométhée voulut sauver. "

Cependant d'autres distinguent plutôt un '' Prométhée déchaîné '', dans ce que Camus a résumé dans une phrase : une " civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. ", c'était dans Combat, le 8 août 1945, après Hiroshima.


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