Magazine Journal intime

Concours de nouvelles Femmes d'aujourd'hui - les "perdants" : histoire d'os

Publié le 21 août 2008 par Anaïs Valente

femmesauj
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Histoire d'Os...

 

Encore mortifié par l'échec cuisant essuyé en novembre dernier, au Béguinage d'Anderlecht, le Commissaire Ickx est plus décidé que jamais à élucider cette nouvelle affaire... 


6 décembre 2007...


Il pleut sur Bruxelles, comme d'habitude.   Les essuie-glaces de la voiture blanche coiffée du gyrophare bleu sont en pleine activité et le véhicule se faufile adroitement entre les autos qui roulent prudemment sur la chaussée mouillée.

Au bout de la rue du Trône, voici  la gare du Luxembourg : la passerelle qui enjambe la voie ferrée ruisselle sous l'averse.   Le chauffeur contourne le bâtiment, fait quelques mètres puis entre dans la rue Vautier.

Après avoir longé une rangée de hautes maisons précédées de jardinets

détrempés, il gare la voiture devant le Musée, le temps que le Patron débarque...


Le tyrannosaure de l'entrée donne le ton: c'est bien dans l'univers de ces créatures étranges que le Commissaire va enquêter. Jugez plutôt :

En ouvrant la porte de la salle des dinosaures ce matin, le responsable de la section n'a d'abord rien remarqué.  Il a allumé les projecteurs, les uns après les autres et, comme chaque fois, il a été frappé par l'impressionnante stature des iguanodons de Bernissart.  En gravissant les marches de l'escalier à droite, il a longé les vitrines aux fossiles, admirant comme d'habitude la beauté un peu étrange de ces témoins du passé.  C'est alors qu'il a entendu un cri d'épouvante, venu du fond de la salle, là où le triceratops baigne dans une lumière rougeâtre qui accentue son aspect menaçant.

Il s'est mis à courir, le cœur battant, quand un deuxième cri, encore plus horrible, lui a glacé le sang :


   « Je vous assure, Monsieur le Commissaire, je sais que cela paraît insensé, mais j'ai entendu le cri du tyrannosaure et j'ai vu l'ombre de sa mâchoire menaçante sur le mur du fond.   Quand je suis arrivé au bout de la salle, 

un corps était étendu sur le sol, à moitié enseveli sous un amas d'ossements...  Et le triceratops n'était plus là !  »

L'homme tremble en racontant cela, il ne peut rester debout tant il est saisi par l'émotion en revivant la scène.

Déjà l'équipe des enquêteurs s'est déployée sur place :  on a photographié le lieu du drame sous tous ses angles, dégagé prudemment le corps, qui est maintenant allongé sur le sol, recouvert d'un drap blanc.


   « Mon Dieu ! Quelle affaire ! » bafouille le gardien...  qui a reconnu la victime : 

   « C'est un paléontologue français qui est venu ici pour étudier les fossiles! »


Et il détourne la tête, ne pouvant plus supporter la vision de cette tache de sang qui s'agrandit sur l'étoffe immaculée.

Le Commissaire Icxk contemple le spectacle d'un air perplexe.  Le médecin légiste a examiné le corps, et surtout la tête qui n'est plus qu'une plaie béante, déchiquetée, comme tailladée par des dents aiguës.

Non, ce n'est pas possible !  Abasourdi, le Commissaire écoute les remarques de l'expert : ce sont bien des dents qui ont causé la mort, et pas n'importe quelles dents : des dents pointues , aux bords irréguliers, aussi meurtrières que des couteaux tranchants.  Quelle arme pourrait infliger pareille déchirure ?

Ce ne sont pas les multiples témoins, muets depuis des millions d'années, qui lui seront d'un quelconque secours... 

Les cornes du tricératops pointent vers le ciel, au milieu du tas d'os,

indifférentes à l'émotion qui palpite à deux pas d'elles.

Le gardien continue à trembler :  lui seul a vu l'ombre menaçante du tyrannosaure mais comment croire à pareille fable ?  A bout de nerfs, le malheureux fond en larmes :  voilà vingt ans qu'il travaille ici et, tous les matins, il accomplit sa tâche avec zèle, comme tous les autres employés du Musée, d'ailleurs.


Le Commissaire Ickx s'est reculé de quelques pas, examinant attentivement les alentours, scrutant le sol à la recherche d'indices et, tout à coup, il sursaute, se penche vers le sol, incrédule : là, dans la poussière soulevée par la chute du squelette, une empreinte, non, deux, trois empreintes de pas, distantes de près d'un mètre l'une de l'autre: il reconnaît sans hésiter les trois doigts écartés du tyrannosaure !

Suivre la piste est un jeu d'enfant !  Et voilà le Commissaire face à face avec le géant préhistorique, immobile, figé à jamais dans son attitude belliqueuse,

la mâchoire béante, les dents prêtes à déchiqueter sa proie.

Le policier se dévisse le cou à observer la bête :  c'est de loin le plus impressionnant des dinosaures et notre homme a l'impression de l'entendre pousser son cri de guerre, terrorisant toute la nature aux alentours. 


Choqués par le drame qui vient de se produire, les enquêteurs se retrouvent autour d'une table, dans une des salles attenantes.

Les visiteurs n'auront pas accès à la Galerie aujourd'hui !

A la porte d'entrée, des journalistes sont déjà à l'affût mais le Commissaire les fait congédier d'un geste excédé. 

Trois tasses de café et un sandwich plus loin, les investigations reprennent.

L'équipe scientifique relève les empreintes ( dans cette gigantesque salle, c'est un travail de titan !) Le Commissaire éponge son front ruisselant de sueur froide.


Ah ! Un bon petit meurtre passionnel bien net :

( « Le mari, dans un geste désespéré, abat l'amant de sa femme »)

ou un hold-up sanglant avec prise d'otages :

 ( « La camionnette des malfrats a foncé dans un mur :

les otages sont sains et saufs ;on ne peut pas en dire autant des agresseurs !!! »)


Ici, il nage en plein cauchemar...  La victime est bien là, hélas !  Mais le coupable ?

Il entend d'ici l'exclamation sarcastique de son supérieur :


   "Quoi !  Un tyrannosaure auteur d'un meurtre

au Muséum des Sciences Naturelles ? Vous vous foutez de moi, Ickx ? "

Rien qu'à y penser, le pauvre homme se recroqueville mentalement, plein d'appréhension.  A la fin de la journée, l'enquête n'a pas progressé d'un pouce.

Le corps de la victime a été emporté vers l'Institut Médico-Légal, en vue de procéder à l'autopsie.  Les os du squelette démantibulé sont partis pour le laboratoire.


Le Commissaire Ickx, très déprimé, regagne le domicile conjugal où son épouse l'attend et lui réchauffe son repas dont il n'avale pas trois bouchées...


7 décembre 2007 :


Levé aux aurores, le Commissaire Ickx n'a même pas pris le temps de boire un café !  Le voilà déjà à pied d'œuvre à deux pas du roi des dinosaures.

Juché sur une échelle, un de ses collaborateurs effectue des prélèvements

sur les dents du monstre.  Aussi absurde que cela puisse paraître, c'est la seule piste disponible pour le moment.

A l'autre bout de la salle, son adjoint  examine l'espace vide où se dressait, hier encore, le squelette du tricératops.   Ici aussi, des traces marquent le sol, tournées résolument vers le lieu du drame :  on dirait que l'animal a chargé et que, suite à un choc violent, son corps s'est disloqué puis écroulé en cette multitude d'os que les experts ont relevés hier...

Le Commissaire se creuse les méninges, imagine divers scénarios :

-   Y a-t-il eu un combat entre les deux animaux ?

-   Le paléontologue s'est-il trouvé là au mauvais moment ?

-   Se pourrait-il que l'ancêtre de notre rhinocéros se soit porté

   au secours du savant attaqué par le tyrannosaure ?

-   Que faisait le tyrannosaure de ce côté-ci de la salle ?


   « On nage en pleine science-fiction, » se morigène-t-il.    

Voulant rejoindre son équipier qui travaille un peu plus loin, le policier entre dans l'espace réservé aux oiseaux : il ne peut s'empêcher d'admirer au passage le nid rempli d'œufs fossiles, où gambadent deux jeunes dinosaures.



Un grondement menaçant le fait sursauter, suivi aussitôt par un autre et puis encore un autre .  Affolé, notre homme lève la tête et reste cloué sur place :

tous les monstres de la galerie  ont tourné la tête dans sa direction et, l'un après l'autre, émettent un cri effrayant qui lui glace le sang.

Serait-il possible que... ?

Le regard du Commissaire va du nid aux silhouettes menaçantes... et revient encore une fois au nid...  Mais oui, ... Il a compris !...

D'un même élan, les animaux préhistoriques ont fait bloc pour défendre leur progéniture de la cupidité des humains prédateurs : du maiasaura au stégosaure, en passant par l'iguanodon ou le petit vélociraptor, carnivores ou herbivores, bêtes à poils ou à plumes, tous poussent leur cri de protestation :


«  Ne touchez pas à nos petits ! »


Epouvantés, les deux hommes se rejoignent en quelques enjambées et, sans perdre une minute, refluent vers l'escalier qui mène à la sortie.  Il leur semble sentir le souffle irrité des monstres qui les suivent du regard.

Blêmes, les jambes tremblantes, ils montent les marches le plus vite qu'ils peuvent et, hors d'haleine, quittent cet endroit inhospitalier où les grondements

s'apaisent petit à petit...

Le gardien n'a donc pas eu d'hallucinations !  Il a bel et bien entendu le cri du tyrannosaure.  Le Commissaire Ickx reprend son souffle quand son GSM sonne : c'est le laboratoire.  Entre les os éparpillés, on a trouvé des débris d'œufs fossiles...


« Non, ce n'est pas possible, » s'exclame le Commissaire ! «  Cette histoire ne tient pas debout !... »

Et ce n'est pas tout !  Les coquilles portent les empreintes de la victime !

Quant à la corne frontale du tricératops, elle a heurté de plein fouet un obstacle très dur car elle s'est brisée net.

En gémissant, le policier se tient la tête à deux mains :  il est au bord de la folie. Jamais il n'osera affronter la colère de son supérieur !

Comme un somnambule, le Commissaire Ickx quitte le Muséum mais, au lieu de  regagner sa voiture, il fait quelque pas en direction de l'escalier qui mène à la rue Vautier.  Il va fumer une cigarette, le temps de retrouver son calme.

A peine a-t-il tiré quelques bouffées qu'il entend derrière lui un bruit de pas lourds et des cris :


« Commissaire, attention ! »


Un coup d'œil en arrière...   Aaargh !  Le dinosaure de l'entrée s'est mis en route et le poursuit...

En voulant fuir par l'escalier, l'homme, dont les jambes flageolent, rate la première marche et s'effondre vers l'avant en poussant un long cri de détresse..

Sa tête heurte violemment le sol et...la porte de la chambre s'ouvre brusquement. Hébété, le Commissaire Ickx reconnaît la silhouette de sa femme, dans l'embrasure de la porte :


   « Tu as encore fait un cauchemar, mon pauvre chéri, » s'apitoie-t-elle en l'aidant à se relever.  Doucement, elle réinstalle son mari dans le lit, redresse son oreiller, reborde la couette...


    «   Le pauvre, » pense-t-elle, « il est plutôt surmené ces temps-ci ! »

Avec un sourire attendri, elle éteint le lecteur DVD où Jurassic Park tourne en boucle depuis la veille au soir...






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