< Poésie d'un jour
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Sauter dans la craie d’une marelle
On avait effondré les dernières illusions, et c’est là qu’on se retrouvait libres,
ouverts au moindre feuillage, à l’escargot polissant son miroir, à l’araignée
fourbissant ses pattes fines pour tisser la toile d’un cercle de lumière.
On n’avait plus regardé que le visage de ceux qui rient au soleil et tendent les
mains vers la chaleur d’une halte.
On avait ramassé des fruits de saison et attendu que la pluie vienne.
On avait dispersé des cendres d’amour sur des rochers face à la mer et faussé
Compagnie aux tombeaux de toutes sortes. Les tombeaux des mots, ou de
pierre. Il n’était plus resté que des maisons de feuille et des cris perdus dans le
vent.
On avait été heureux car on ne tenait plus à rien. On avait dessaisi les matins
comme les soirs, les fleurs comme les oiseaux s’étaient envolés des mains
déployées.
Il n’y avait plus de cages, plus de bonjour ni d’adieu.
Il y avait ces risées de vent qui plongent sur les mares et savent les friser, il y
avait l’eau verte d’un étang qui miroite dans l’éclaircie et le vélo qui habite les
paysages.
Devant l’école abandonnée restait la craie d’une marelle, le haut d’un cercle, le
ciel ou l’enfer qu’importe.
Seul le bond d’une case à l’autre gardait la courbe d’une danse et le caillou
était resté pris entre deux tracés de nuit.
Le caillou, lâché par hasard au milieu entre deux cases, restait là, pour d’autres
mains d’enfants, un jour, refermées sur lui.
Le lieu semblait attendre de nouveaux cris, des rires d’enfants. Les anciens
avaient déserté.
Il ne s’agissait plus de coquillage ou de fossile mais d’un simple galet plat qui
avait nié toutes les empreintes, qui avait perdu les traces.
Le fossile en coquillage, celui en forme de cœur momifié, serait redevenu un
galet sur lequel était passée la mer, au point d’avoir effacé tous les sillages.
Entre la craie et le galet, s’était renouée une complicité d’enfance, celle des
objets du monde qui ont retrouvé la force des épaves.
Béatrice Bonhomme, Deux Paysages pour entre les deux dormir, avec Palimpseste pour accompagner , Éditions VVV Éditions, 2018
BÉATRICE BONHOMME
D.R. Ph. Laurent Bourdelas
■ Béatrice Bonhomme
sur Terres de femmes ▼
→ Mutilation d’arbre (lecture d'AP)
→ Le pacte des mots
→ Passage du passereau
→ [Les petits chevaux de Tarquinia]
→ Poumon d'oiseau éphémère
→ Sauvages
→ T’écrire adolescent
→ La terre rouge
→ Tes nuits sont devenues mes jours
→ Variations du visage & de la rose (lecture de France Burghelle Rey)
→ (dans l’anthologie poétique Terres de femmes) Un lacis de sang et d'ombre
→ (dans la galerie Visages de femmes) le Portrait de Béatrice Bonhomme
par Guidu Antonietti di Cinarca, un poème extrait de Poumon d'oiseau éphémère
■ Voir aussi ▼
→ (sur la site des éditions L’Étoile des limites) la fiche de l'éditeur sur Les Boxeurs de l’absurde
→ (sur Terres de femmes) Kaléidoscope d’Enfances
→ (sur Wikipedia) une belle bio-bibliographie de Béatrice Bonhomme
→ (sur Terres de femmes) La rencontre Hölderlin-Jouve-Klossowski par Béatrice Bonhomme et Jean-Paul Louis-Lambert
→ (sur le site de la Revue d'art et de littérature, musique) un entretien de Rodica Draghincescu avec Béatrice Bonhomme (Numéro 45 - décembre 2008)