Christine Duminy-Sauzeau, Il PLEUT debout, Pensées diurnes & nocturnes
Atelier du Hanneton 2023
Lecture d’Angèle Paoli
« Un caillou dans la chaussure »
Impossible de ne pas rire ou du moins sourire en ouvrant au hasard l’ouvrage de Christine Duminy-Sauzeau :
Il PLEUT debout.
Il y a sous sa plume une tonalité toute personnelle et particulière qui tient du décontracté, d’un naturel franc qui s’embarrasse peu du prêt-à-penser, le tout exprimé d’une manière très directe laquelle rechigne à s’étendre sur le pourquoi du comment. Prise au hasard, cette assertion nuancée, tirée des « Pensées diurnes » :
Moins t’en sais…ou Chant du cygne :
« Il paraît que le parfum des fleurs exprime la souffrance, annonce leur mort prochaine. Quand tu sais ça… »
Tout est dans le petit commentaire qui suit la découverte et qui laisse à chaque lecteur / lectrice le choix de l’interprétation ou celui de mettre des mots dans le silence que les points de suspension suggèrent. Tout est de cet ordre dans cette sorte de journal sans chronologie qu’est le recueil Il PLEUT debout, pensées diurnes & nocturnes ; mélange de fantaisie et de sérieux, de vie rêvée et de rêve vécu, d’impertinence et de pertinence ; d’insolence et d’insolite. L’ensemble enrobé d’un humour irrésistible et d’un optimisme qui déteint sur la lectrice. Autant dire que c’est un régal.
Et déjà le titre ! Son étrangeté. Son côté inattendu, surprenant. Association d’une formule familière et d’un adverbe de manière qui caractérise une position humaine. Il pleut. Debout. Donc, pour moi, une vision s’impose : il pleut DRU. DROIT. RAIDE. Une Drache, en quelque sorte. L’énigmatique Cadeau du ciel ? - casé dans les « Pensées diurnes » - ne me sera d’aucun recours :
« Clémence du temps en ce lendemain de catastrophe : maintenant il pleut debout ! »
Me voilà bien avancée ! Je passe. Et laisse infuser en moi le titre.
Comme l’indique le sous-titre, ce recueil original de pensées se répartit avec la régularité d’un métronome en Pensées diurnes (page de droite) & Pensées nocturnes (page de gauche). Des titres en gras délimitent les paragraphes et les pensées qui s’y expriment, les uns comportant parfois des dates et des lieux, les autres soumis à la rêverie, à la vie intérieure – « Parfois je fais la planche entre rêve et réalité » - à toutes sortes de traversées de pensées, de formulations inattendues, construites sur des contradictions ou des alternatives. Finalement ou Grasse mat’. Des titres fantaisistes -Doriane Gray/ Charlaz Navour- avec jeux de mots, interjections ou interrogations qui ménagent l’attente. C’est selon. Selon la vie qui va, de jour comme de nuit. Pour autant, ces pensées se rejoignent. Rien ne sépare (selon ma lecture) ou ne distingue les pensées diurnes des pensées nocturnes. Elles sont interchangeables car l’esprit qui les mène est le même, qui est celui du sérieux de l’existence assorti d’un puissant zeste de fantaisie. Les menus drames du quotidien sont désamorcés par l’humour et par le regard tendresse. Se laisser aller au fil des paragraphes, au fil du texte pour le plaisir de découvrir où nous mène la narratrice, vers quel rêvouréalité et à quel rythme. Car il y a un rythme, de l’ordre de l’infatigable. Les scènes alertes, souvent brèves, semblent être prises sur le vif par un regard aigu mais drôle. La parole est incisive mais pleine d’humour. Un humour qui frôle parfois l’absurdie. L’impression dominante et émergeante est celle d’un portrait - joyeux et contestataire - de la narratrice. Un portrait qui se dessine au fur et à mesure, par touches successives. Un croqué de la narratrice qui fait resurgir l’enfance et ses petites stratégies, l’adolescence rebelle, les révoltes estudiantines et les bistrots d’Aix-en-Provence avec virées en fin de nuit vers La Ciotat ! les multiples activités d’adulte liées à la carrière d’enseignante, les jongleries qu’elles imposent, les déplacements et les voyages ; les lectures fondatrices (ah, le « premier Petit livre d’or » ! ah, le Club des cinq ! … et même Daniel Rops !!! Mort où est ta victoire pour elle, L’histoire sainte de mes filleuls pour moi, à l’entrée en sixième !) ; la vie quotidienne et les stratagèmes mis au point pour se désennuyer, les engagements de battante et les contestations ; un croqué de caractère (un sacré caractère !), tempétueux, exigeant – « bouillonnant, révolté, impétueux, bravache, mystique, ombrageux, passionné… ». En un mot « romanesque ! ».
Mais en sourdine, un portrait tout autant généreux et tendre, qui se précise en cours de lecture, au hasard des souvenirs évoqués, des listes de choses à faire et d’oublis qui accompagnent les listes, d’évocations du père et de la mère, des sœurs et des arrière-grand-mères, de la vie dans les pensionnats religieux et des plaisirs liés à la découverte de la sexualité (un moyen efficace de berner la surveillance !) … le tout nimbé d’optimisme et de joie de vivre, l’espièglerie dominant l’ensemble de ces touches rapides et concises. Et si la poète se dit volontiers « ombrageuse », c’est avant tout parce qu’elle aime ce mot qui correspond à son caractère imprévisible, un rien susceptible et sauvage ; voire farouche. Les mots, elle les aime, presque autant que les livres. Elle joue avec les mots de l’enfance, ceux qui ont le pouvoir, parfois, à la manière de la petite madeleine de Proust, de faire remonter à la surface les souvenirs perdus. S’accrocher aux bonbecs – carambar, haribo. Il me serait possible de compléter la liste. Carensac, régalettes, boules cocos, réglisses à dérouler, interminables, avec leur bonbon coloré au centre…Elle joue avec les mots-valises, les apocopes, les cuts intempestifs : « Op-pressée » ; les liaisons « mal-t-à-propos » ; les latinismes et les anglicismes. Les proverbes revisités : Gauchère du matin, chagrin. Les mots et les livres, la lecture, convulsive-complexe, et l’écriture. Tout se tient même si parfois :
Titre : Je n’écrirai jamais…
« Les strates de ma vie ont du mal à se superposer. Manque de place, chevauchements, bousculements, coincements.
Le silence, donc. »
Et pourtant, deux pages plus loin, la poésie fait son apparition, qui passe par l’écriture :
Écrire, la mer :
« C’est joli l’intérieur d’une main qui écrit, avec les doigts recourbés, d’un rose nacré, comme le cœur d’un coquillage. Oui, un coquillage. Est-ce pour cela que j’entends la mer lorsque j’écris, pourtant dans le silence. »
Son idéal d’écriture peut se lire dans Bribes for ever…
« Un " Atelier noir " à la Annie Ernaux, mais avec des bribes qui n’auraient jamais donné lieu à des développements : les développements m’ennuient. »
Pour les bribes, en effet, Christine Duminy-Sauzeau s’y entend. Elle y excelle. Même lorsqu’il s’agit de se définir elle-même. Ainsi des Présupposés :
« Ayant toujours été habituée à rater le début de tout, je suis une virtuose du présupposé… »
Et le féminisme alors ? Christine Duminy-Sauzeau est féministe à ses heures mais avec modération. Pas d’excès dans ce domaine, même si elle dénonce la « violence patriarcale » qui s’est abattue dans sa famille et qu’elle perçoit davantage comme le fait d’un « système » que comme le résultat d’un caractère. Elle rechigne à se soumettre à certains dictats idéologiques, sous prétexte de féminisme. Ainsi dans les Pensées nocturnes, ce paragraphe intitulé Autrice ? c’est laid…
« Quand je lis un livre écrit par une femme, c’est comme quand je joue au ping-pong avec un gaucher : je ne suis pas à mon aise. Je suis pourtant ET une femme ET une gauchère ET une gauchère qui écrit. Je me demande si de là ne vient pas le rejet général de la littérature « féminine » : on n’est pas habitué. C’est comme pour le féminin des noms de métier : la première fois qu’on l’entend, on trouve ça laid.
Par sa lecture une femme participe de l’homme.
L’inverse n’est pas vrai, donc. »
On peut, bien évidemment opposer un autre point de vue à celui-ci, mais ce serait se lancer dans des digressions à n’en plus finir et les « développements », Christine Duminy-Sauzeau affirme ne pas les apprécier. Revenons à sa plume, qui ne s’embarrasse ni de préambules ni d’hésitations.
Avec une plume aussi libre, la lectrice que je suis est prise dans un mouvement perpétuel. Ça bouge tout le temps ! Et je bouge avec son mouvement à elle. Il est d’ailleurs possible de lire ces pages dans n’importe quel ordre. Il existe cependant un ordre avec des pensées qui se font écho. Ainsi la mite qui exaspère la mère renvoie-t-elle en amont à la mouche qui exaspère la fille. Et toutes deux de se retrouver dans le même geste d’exécution finale avec un même brin de sadisme. Sauf que pour les mouches, la fille se régale à observer les stratégies séductrices de la préparation au coït chez l’insecte volant. Et d’ironiser sur les approches copulatoires. C’est drôle, c’est bien observé et bien senti. Autre leitmotiv, celui du « caillou dans la chaussure », expression qui résume à elle seule le sentiment inconfortable de n’être nulle part à sa place.
Ainsi la narratrice écrit-elle d’elle même qu’elle a toujours été pour les autres - (pour sa mère, notamment « toi, ça ne va jamais ! » ou pour sa bisaïeule : « toi, il te manque toujours deux liards pour faire un sou ! ») - « un caillou dans la chaussure » ; une sorte d’intruse dans le paysage familial, marqué par le sentiment d’inconfort et de manque. Mais c’est sans doute ce même sentiment d’inconfort et de manque, ce « scrupule » qui gêne la bonne marche dans les allées empierrées du jardin mais pas seulement, qui fait de Christine Duminy-Sauzeau une philosophe de talent. « Différente à tout jamais, mais incontournable ». Irremplaçable, donc, parce que rare. Bizarre, non ? « Je suis quelqu’un de bizarre. Moi seule sais à quel point. »
Peut-être, et c’est tant mieux !
Angèle Paoli / D.R. Texte angelepaoli
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