L’amour me tombe toujours des mains. Peut-être qu’il faudrait tenir l’amour avec des gants mais moi, je l’ai toujours pris à mains nues et j’ai les mains moites. Enfin, c’est le dernier homme que j’ai aimé qui me l’a dit, parce qu’avant, je ne me rendais même pas compte qu’elles suaient, mes mains.
Lui, il m’avait chanté son amour sur tous les toits : il m’aimait, il m’aimait, il m’aimerait toujours. Et pourtant, maintenant, c’est fini. Il y en a qui disent que n’importe qui peut assassiner, que c’est une question de circonstances*, je veux bien les croire ! La mort ça doit se traiter comme l’amour, avec des gants. Ce n’est pas que j’aie de vilaines mains - elles sont même émouvantes mes mains - le seul problème c’est qu’elles suent, et ceux qui suent finissent par nous faire suer.
Oui, j’aurais dû mettre des gants pour lui parler, même pour le caresser ! Je sais, ça aurait paru bizarre que je le caresse avec des gants… Vous imaginez-vous enfiler des gants avant de faire l’amour avec un homme ? Nue sur lui avec des gants ? Pourtant j’aurais dû. Il ne supportait plus que mes mains suent sur son corps alors qu’on n’en était qu’aux préliminaires ! Je n’ai jamais compris pourquoi, mais à peine je posais mes mains sur lui, qu’elles se mettaient à suer… de fines gouttelettes au départ, mais au fur et à mesure que l’excitation montait c’était comme si j’avais enfilé un gant mouillé à chaque main. Au début, ma sueur l’enivrait, il voulait lécher mes mains, il se mettait même en colère si je lui refusais « cette gâterie », comme il disait. Et plus il les léchait, plus je sentais son excitation monter. J’en étais même gênée, on aurait dit une bête.
Oui, avec lui, j’aurais dû tout de suite mettre des gants, c’est certain, et il serait encore là ! Peu à peu son regard sur mes mains a changé et je voyais parfois du dégoût passer dans ses yeux. Ça ne durait qu’un instant mais c’était là, entre moi et lui. Il a fallu que je me rende à l’évidence : non seulement il ne voulait plus me lécher les mains, mais en plus mes mains commençaient à l’écœurer. Je n’ai jamais pu accepter qu’il y ait un obstacle entre moi et l’homme que j’aime ; c’est pour ça que j’ai fini par acheter des gants. Oh, pas pour lui faire l’amour, non, mais pour mettre fin à son dégoût ! Je ne sais plus comment j’ai fait ce jour là, mais j’ai bien failli ne pas y arriver, heureusement qu’il était malade, sinon il serait encore en vie…
* phrase tirée d’un livre de Patricia Highsmith